16/01/2010

Petites astuces pour bouffer l’argent européen sans se fatiguer

Chers frères africains, pour devenir riches, captez les fonds européens autrement : créez des ONG.

Frères africains, au cours des cinquante dernières années, nous avons suffisamment enrichi l’Europe. Par notre travail, par nos ressources naturelles pillées, par nos argents publics détournés et planqués dans des banques du Vieux Continent. Il est à présent temps que nous songions à nous enrichir nous-mêmes.

Beaucoup d’entre nous partagent cette ambition légitime, mais bien peu nombreux sont ceux qui parviennent à sortir de la camisole de force de la pauvreté que les Européens nous ont enfilée. Pourquoi ? Entre autres, parce que nous pensons pouvoir utiliser le système de prédation ultra-capitaliste qu’ils ont mis en place pour nous en sortir à notre tour.

Par exemple, nombre de nos frères montent de prodigieux projets d’entreprise ou de PME et font par la suite la manche devant les guichets de banques pour obtenir un crédit. Ce qu’ils oublient, c’est que ces banques, essentiellement des succursales de banques européennes, ne sont pas là pour financer l’économie des pays africains, mais presque exclusivement, pour pomper les épargnes africaines et les orienter vers le financement des PME-PMI européennes installées en Afrique, tandis que les bénéfices mirobolants retirés de ces épargnes placées ailleurs sont rapatriés en métropoles.

De même, inutile de compter sur les gouvernements africains. La plupart d’entre eux comptent aussi sur les soutiens financiers européens, y compris pour payer leurs fonctionnaires. Que faire ? S’installer dans l’informel ? Cela servirait juste à survivre, car les travailleurs du secteur informel sont depuis longtemps plus nombreux que ceux du secteur formel. La concurrence y est, de surcroît, plus vive.

Créer une PME et faire les yeux doux à l’administration pour obtenir des marchés publics de gré à gré ? Cela peut marcher pendant un certain temps. Mais tout l’édifice échafaudé peut fondre du jour au lendemain comme beurre au soleil, lorsque le ministre protecteur est « victime » d’un remaniement ministériel, comme cela arrive fréquemment, ou quand survient un changement brutal de pouvoir, ce qui n’est pas rare.

Un ami à qui je faisais part de mon pessimisme quant à la possibilité de s’enrichir dans un tel contexte m’a donné des conseils utiles que je m’en vais vous répéter. Il faut, précisément, tirer profit du contexte, m’a-t-il dit.

De quoi s’agit-il ? Les Européens disent que nos États sont défaillants et qu’au lieu d’y injecter des fonds par la suite irrécupérables, il vaut mieux soutenir les acteurs non étatiques : associations, collectivités locales, etc. Chers frères africains, cessez de perdre votre temps devant des banques qui ne vous accorderont aucun argent susceptible de faire prospérer vos affaires. Cessez de contourner le fisc en faisant disparaître vos entreprises du secteur formel pour les faire renaître dans l’informel. Pour devenir riches, captez les fonds européens autrement : créez des ONG.

De nos jours, l’ONG nourrit bien son homme – ou sa femme, égalité des sexes oblige. Par exemple, au lieu de se casser la tête dans des montages financiers pour des projets de développement agricole pour lutter contre la faim, créez plutôt une ONG pour la sauvegarde des grands chimpanzés d’Afrique centrale menacés d’extinction, à cause des barbares de cette région qui les prennent pour du bon gibier. Vous obtiendrez à coup sûr une sinon plusieurs subventions d’Europe et d’autres parties du monde civilisé.

Il faut être malins, mes frères. Guettez les signaux émis par les grands intellos européens. Vous saurez ainsi, par exemple, que quand ils parlent des droits de l’homme, ils ne pensent pas au droit à l’alimentation, à la santé, au travail. Ces droits, pour eux, sont secondaires. Leurs vrais droits de l’homme, ce sont les droits politiques.

Par conséquent, chers frères, les ONG des droits politiques rapportent plus que les ONG à vocation sociale ou économique. Elles rendent aussi ceux qui les dirigent plus importants que les autres. Alors, créez le maximum d’associations de défense de la démocratie, de la liberté de presse, de la liberté sexuelle. Ce sont alors les subventions européennes qui viendront vous chercher.

Pour gagner toujours plus de subventions, attaquez régulièrement vos gouvernements. Que vous soyez inquiétés ou non, racontez partout que vous êtes privés de tout. Vous serez la coqueluche des médias européens. On vous déroulera le tapis rouge partout. Vous visiterez le monde entier. On vous décernera des prix, vos poitrines croupiront sous le poids de décorations.

Ne vous arrêtez pas tant que les programmes européens de financement ne sont pas achevés. Pour gagner plus, quelqu’un l’a dit, il faut travailler plus. Alors, au sein de vos ONG, faites travailler vos méninges pour maintenir vos subventions.

Par exemple, secrétez plusieurs associations satellites à qui vous reverserez une partie des fonds reçus, juste de quoi les faire survivre et donner l’illusion d’un travail en réseau. Votre lecture quotidienne doit être le site Internet de l’Union européenne. Il fournit des renseignements précieux sur les partenaires potentiels à intégrer pour avoir plus de chances d’être subventionnés, ainsi que sur la façon de rédiger les formulaires de demandes d’aides.

Dans vos projets, prenez bien soin d’indiquer en premier partenaire une ONG européenne des droits de l’homme, etc. Même dans le secteur de la « société civile », c’est celle du Nord qui domine et fixe les règles du jeu.

Vous l’avez compris : vous perdriez temps, énergie et « amis » européens en créant une ONG de défense de la souveraineté de vos États. Aucun fonds européen n’est disponible à cet effet. Aucune ONG européenne ne travaille dans un sens non européen. Et aucun parti politique européen, y compris ceux ayant accolé l’épithète socialiste, ne vous aidera sérieusement.

En réalité, en captant les fonds européens, nous ne ferions que récupérer notre argent indûment détourné par les banques et les multinationales européennes. Voler un voleur, est-ce voler ?

Valentin Mbougueng est président de la Ligue internationale des journalistes pour l’Afrique.

1 commentaire:

  1. Nos chemins ne cessent de se croiser : je n'ai pas résister non plus à publier ce "billet d'humeur" qui me ravit !!!
    Je ne pensais pas vous retrouver au bout du lien, mais c'est un plaisir.
    je recherche votre Myspace pour vous inviter sur le profil que me dessine Rhissa Rhossey par SMS : pas de soucis, il sait dire beaucoup en peu de mots...
    Bien à vous,

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