01/06/2010

Le général Salou Djibo répond aux questions de RFI

Par Christophe Boisbouvier

Pour la première fois depuis le putsch du 18 février au Niger, le général Salou Djibo sort de son pays. Depuis le dimanche 30 mai, il est à Nice, en France pour assister au 25e sommet Afrique-France. Pour la première fois également, l'homme fort du Niger se prête à une interview pour RFI.

RFI : Monsieur le président, bonjour.

Salou Djibo : Bonjour.

RFI : Merci de recevoir RFI. On ne vous a pas beaucoup entendu depuis le 18 février. Tout d’abord, ce 18 février, à midi, qu’est-ce qui vous a décidé à faire cette opération militaire ?

S. D. : Ce n’est pas à midi, c’est à treize heures pour plus de précision. Donc, vous savez très bien que le Niger était dans un moment très difficile. La situation politique était critique. On a décidé de prendre toutes nos responsabilités pour mettre fin à la dérive des institutions qui pouvait nous amener à des désastres. Voilà la raison pour laquelle, on s’est sacrifié, nous les forces de défense et de sécurité.

RFI : Comme vous dites, vous vous êtes sacrifiés et ce qui a frappé beaucoup de gens, c’est qu’au départ, il n’y avait que très peu d’unités de l’armée qui étaient concernées par cette opération ? Vous étiez très peu nombreux ? Est-ce que vous étiez si sûrs que ça de réussir ?

S. D. : Un sacrifice, c’est un sacrifice. On a vendu notre vie pour notre pays. Et tout officier, avant de sortir officier digne d’être officier, prête serment au nom de son pays quoi qu’il puisse lui arriver, donc jusqu’au péril de sa vie. Nous, on a vu que vraiment, ça n'allait plus. On a décidé ce jour-là de sacrifier notre vie. Donc on n’avait pas besoin de contacter toutes les unités pour faire un coup d’Etat.

RFI : Quel est le geste du président Tandja qui vous a décidé ? Est-ce 48 heures avant son intention éventuelle de sortir de la CEDEAO (la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest) par exemple ?

S. D. : Ça, je ne peux pas le dire, je ne suis pas politicien. Je suis un militaire pur et dur. Je suis dans ma caserne et donc je ne peux pas savoir ce que lui est en train de faire dans son palais.

RFI : Mais quel est le geste qu’il a fait qui vous a décidé ?

S. D. : Le geste, ça c’est visible, c’est la situation politique qui est venue des négociations avec la CEDEAO, l’Union africaine, l’Union européenne... tout le monde s’y est mis. Ça ne va pas. Si ça ne recule pas, qu’est-ce qu’on fait ? On casse ! Et c’est ça, on a cassé et heureusement, on a bien cassé.

RFI : C’est-à-dire qu’il n’y a pas eu trop de casse, c’est ça ?

S. D. : Il n’y a même pas eu de casse, et il n’y a même pas eu de blessés parmi les membres du gouvernement et le président lui-même.

RFI : Et vous vous êtes décidés la veille, quelques heures avant ?

S. D. : Pour attaquer, on a décidé quinze minutes avant. Moi j’étais en réunion. A midi moins le quart, ils sont rentrés dans mon unité et on a décidé de sortir. Ce jour-là on a décidé de sortir et on est sortis. C’était à 13 heures. C’était un combat de 25 à 30 minutes.

RFI : Donc, vous vous êtes vraiment décidés dans les dernières heures ?

S. D. : On était vraiment décidés. Il n’y avait plus de recul possible.

RFI : Parce qu’il y avait justement un Conseil de ministres donc une occasion peut-être, non ?

S. D. : Non, ce n’est même pas ça, c’était une coïncidence. Le Conseil des ministres ce n’était qu’une coïncidence. C’était une décision déjà prise, ce n’était pas une question de Conseil des ministres sinon le Conseil des ministres nous aurait pris beaucoup de temps. C’est un risque même d’aller en Conseil des ministres pour éviter les casses parce que nous, on n’aime pas faire des casses. On voulait juste restaurer une démocratie. Pour moi, ce n’est pas un coup d’Etat mais c’est une restauration de la démocratie.

RFI : Alors vous parlez de restauration de la démocratie, est-ce que ça veut dire que, comme vous l’avez déjà dit à plusieurs reprises, c’est sûr, c’est définitif : aucun membre du Conseil supérieur pour la restauration de la démocratie ne se présentera à l’élection présidentielle ?

S. D. : Je pense que vous n’avez pas besoin de me reposer la question. On a fait sortir deux ordonnances qui étaient très claires. Et nous, les militaires, nous jurons sur notre honneur. Nous sommes des hommes d’honneur, de parole. Nous sommes des soldats dignes de foi. Ce que nous disons, nous le respectons. Donc il n’y aura pas de candidats ni parmi les membres du Conseil suprême pour la restauration de la démocratie, ni le Premier ministre, ni les ministres de transition. Ça, c’est clair et net.

RFI : Est-ce que c’est une décision que vous avez imposée à vos compagnons d’armes. Est-ce que certains d’entre vous n’étaient peut-être pas tout à fait d’accord avec ça ?

S. D. : On est tous au même niveau. Personne n’a l’ambition de rester au pouvoir. C’est une situation qui nous a été amenée et on a réglé la situation. C’est tout.

RFI : Alors le Conseil consultatif vous a proposé un calendrier électoral que vous avez accepté grosso modo, c’est ça ? Référendum : fin 2010. Présidentielles : début 2011 ? Est-ce que vous pouvez nous donner quelques précisions ?

S. D. : Moi, je ne suis pas le président de la Céni. La seule chose que je veux dire c’est que la transition, c’est douze mois. Et tout récemment, j’ai nommé le président de la Céni (la Commission électorale indépendante). C’est à eux de dresser leur calendrier pour qu’on puisse savoir à quelle date auront lieu les élections.

RFI : Et à priori, tout sera terminé à la date du 18 février 2011, premier anniversaire de l’opération ?

S. D. : En tout cas moi, j’espère bien que ça sera fini et que à compter du 1er mars comme prévu, nous leur remettons donc le témoin.

RFI : Le 1er mars 2011 ?

S. D. : Le 1er mars 2011 comme prévu.

RFI : Vous ne serez plus chef de l’Etat ?

S. D. : Ça c’est clair et net.

RFI : Qu’est-ce que vous deviendrez ?

S. D. : Je reste à la disposition de mon pays.

RFI : Est-ce que vous pourrez reprendre la vie d’avant. Ce n’est pas possible, vous aurez été chef de l’Etat pendant un an et votre vie a nécessairement changé monsieur le Président ?

S. D. : Non, ma vie n’a pas changé. Je suis toujours militaire. Ça ne me gêne pas, je suis à la disposition de mon pays.

RFI : Quelle est la personne peut-être à laquelle vous pensez quand vous faites cela ? Est-ce que vous avez par exemple en tête l’itinéraire d’Amadou Toumani Touré qui a pris le pouvoir en 1991 et puis qui est parti en 1992. Est-ce que c’est quelque chose à laquelle vous pensez ?

S. D. : Nous, on ne s’appuie pas sur tel ou tel pays. Nous, notre expérience, c’est l’expérience nigérienne. Donc on n’a pas à faire du copier-coller. Nous restons Nigériens, nous vivons Nigérien et nos expériences sont nigériennes.

RFI : Vous pourriez retourner dans votre caserne comme avant, c’est ça ?

S. D. : En tant que général, je ne vais pas être comme accompagné. Mais je l’ai dit et je reste à la disposition de mon pays. Un général ne peut pas être comme une compagne. Voilà (rires).

RFI : Est-ce que d’ici la fin de cette période de transition, un audit va être fait pour assainir la situation ? Et est-ce que des hommes politiques ou des hommes d’affaires vont faire l’objet d’enquêtes et éventuellement d’arrestations ?

S. D. : Pour les audits, je dirais que les audits ont déjà commencé, ça fait deux semaines de cela. Nous, notre objectif, ce n’est pas d’enfermer ou d’emprisonner les hommes politiques ou bien les opérateurs économiques ou bien les fonctionnaires qui ont détourné de l’argent, notre objectif est que ces personnalités-là puissent restituer le bien de l’Etat. Point barre.

RFI : Donc, pas de chasse aux sorcières ?

S. D. : Pas du tout.

RFI : Vous voulez que l’argent rentre en fait.

S. D. : Nous voulons que l’Etat rentre dans ses droits.

RFI : Est-ce que dans la classe politique, tout le monde pourra se présenter ou est-ce qu’il y aura des interdits ?

S. D. : Ce n’est pas à nous de dire, ça c’est la loi nigérienne qui doit déterminer ça. Celui qui remplit les conditions pour être candidat, il est libre de poser sa candidature.

RFI : Y compris, les partisans de l’ancien président Tandja ?

S. D. : On ne fait pas de différence. Nous, on ne reconnait pas ancien ou nouveau. Pour nous Nigérien, égal nigérien. On n’a pas fait cette restauration de la démocratie pour une partie. C’est pour tous les Nigériens.

RFI : Est-ce que vous avez une petite préférence pour cette élection présidentielle ?

S. D. : C’est-à-dire ?

RFI : Est-ce que parmi les partis politiques qui vont soutenir des candidats, il y a un parti dont vous vous sentez plus proche.

S. D. : Moi, je ne suis jamais politicien et je ne connais aucun des chefs de partis politiques. Vous pouvez le confirmer avec eux, je ne connais personne. Donc, nous on est neutre. On est arbitre et un arbitre impartial.

RFI : Que va devenir l’ancien président Tandja Mamadou ?

S. D. : Il est là avec nous. Le peuple nigérien décidera.

RFI : Actuellement, il est toujours emprisonné, voilà trois mois et demi maintenant. Quel est à votre avis le sort qui l’attend dans les mois qui viennent ?

S. D. : Ce sont les Nigériens qui décideront de son sort. Il n’est pas en prison. Il est gardé.

RFI : Donc, c’est la justice, c’est ça ?

S. D. : C’est la justice qui déterminera.

RFI : La justice, c’est-à-dire qu’il va être inculpé formellement ? Qu’est-ce qui va se passer ?

S. D. : J’ai dit, au moment opportun, c’est les Nigériens qui décideront de son sort.

RFI : Une fois la transition terminée ?

S. D. : J’ai dit, ce sont les Nigériens qui décideront de son sort. C’est tout.

RFI : Monsieur le Président, merci.

Article publié le : mardi 01 juin 2010














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