11/06/2010

Sedryk. Manager du label Reaktion : « Le rap commence à venir petit à petit au Sahara »

Aziza Brahim, Nabil Othmani, Tamikrest, Hamid Ekawel ou Bambino... Ils sont de plus en plus nombreux les artistes du continent à signer chez Reaktion, un label engagé qui se fait le porte-parole des musiques du Sud.

- Quelle est la petite histoire du label Reaktion ?

Reaktion existe depuis 1996. Ceci dit, c’est vraiment depuis 2006 que j’ai orienté ses activités autour des musiques du désert avec la création d’une collection de disques, du site internet tamasheq.net et maintenant d’une émission sur la webradio Dzaïr Sahara intitulée « Imidiwan » que j’anime tous les premiers du mois à 18h (heure d’Alger). Le but derrière tout ça n’est pas seulement de faire découvrir de belles musiques, c’est surtout d’informer le reste du monde sur les conditions de vie de ces populations sahariennes. La musique est un vecteur d’information très puissant et permet de faire passer des infos que les médias traditionnels taisent. Pour ce faire, je collabore donc de près avec des anthropologues, des historiens, etc. Reaktion est un label engagé, puisque je n’hésite pas à parler du rôle obscur joué par la France en Afrique.

- D’ailleurs, réaction à quoi ?

A la passivité ambiante ! Ce nom vient directement de mes années punk, dont l’un des principes est : si tu veux que quelque chose se passe, fais-le toi-même !

- Comment les artistes que vous produisez sont-ils rémunérés ?

Ils sont rémunérés en royalties sur les ventes des disques, de façon tout à fait classique. Je m’arrange toujours pour que les contrats de mon label aillent dans le sens de l’artiste, en lui laissant plus de liberté et des rémunérations plus importantes que dans les maisons de disques classiques. Je peux me permettre cela, car je ne touche pas d’argent moi-même sur les ventes de disques, il n’y a donc pas de charges fixes en salaires.

- Quels sont les moyens mis à leur disposition ?

Les moyens sont hélas très petits. J’ai investi personnellement pour lancer le label et j’ai fait le choix de ne pas en vivre moi-même. Sans argent, il faut être inventif et Internet offre de nouveaux outils qui permettent de faire entendre la musique et la vendre, avec des investissements moindres. Certains disques ne sont sortis qu’en téléchargement payant, car je suis convaincu que c’est la bonne solution pour le futur de la musique.

- Pourquoi avoir choisi de sauvegarder ce patrimoine ?

Pour moi, la musique est vivante et celle des populations sahariennes doit pouvoir continuer à évoluer au fil du temps, à se métisser et non pas rester figée. Les Touareg et les Sahraouis ont introduit la guitare électrique dans leur musique, le rap commence à venir petit à petit au Sahara, ce qui promet encore de nouvelles belles choses dans les années à venir. Ceci qui n’empêche pas les musiques traditionnelles de continuer à exister par ailleurs dans les campements.

- Quelles sont les difficultés quand on se lance dans un tel projet ?

Le plus dur, c’est bien sûr l’éloignement géographique et parfois la barrière de la langue. J’essaie toujours de bien expliquer aux artistes le contenu des contrats, leurs droits, leurs obligations, et on en parle pour qu’il n’y ait pas de mauvaise surprise plus tard. Il est vrai que le choc culturel entre nos deux mondes est important et les clichés sont très présents des deux côtés : les Occidentaux imaginent toujours les Touareg sur leurs chameaux ! Et les Touareg nous voient comme des millionnaires, et certains s’imaginent qu’ils vont devenir très riches en signant un contrat avec un label européen, alors que la réalité du marché est tout autre.

- Comment voyez-vous l’avenir de Reaktion ?

J’espère que les disques vont continuer à pouvoir faire vivre un peu mieux les artistes et à faire connaître de plus en plus leurs conditions de vie. Pour l’instant, je me suis principalement concentré sur les Touareg, mais j’ai bien l’intention de faire un travail similaire, plus tard, avec d’autres populations, les Sahraouis, les Toubous, etc. C’est un travail de toute une vie !

Par Faten Hayed

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire