15/10/2010

Touaregs et Pachtounes, même combat !?

Point d’avenir sans les Pachtounes

13.10.2010 | Ahmed Rashid | Financial Times

Avant de combattre efficacement les talibans, les Américains doivent enrôler plus de soldats et d’officiers issus de cette ethnie – 80 % des rebelles sont pachtounes, rappelle l’analyste Ahmed Rashid.

Une nouvelle élection truquée le 18 septembre, une crise bancaire imputable en partie à la famille du président Karzai, une corruption que rien ne peut enrayer, une guerre bien mal engagée et une grande confusion dans la participation occidentale à l’effort de guerre : il faudrait être aveugle pour ne pas voir que, pour les Etats-Unis comme pour l’OTAN, l’Afghanistan ne va pas bien.

Le sommet de l’Alliance atlantique des 19 et 20 novembre 2010 et le bilan politique du gouvernement Obama de décembre doivent aborder ces problèmes de manière réaliste au lieu de les occulter en clamant que “tout va bien”. Grâce au dernier livre du ­journaliste américain Bob Woodward, Obama’s Wars [Les guerres d’Obama, éd. Simon & Schuster, inédit en français], nous savons désormais que le président ne souhaitait pas augmenter la présence américaine en Afghanistan quand il a ­procédé à son dernier bilan politique, en décembre 2009 [à l’issue duquel 100 000 hommes supplémentaires ont été envoyés sur le terrain afghan]. Selon l’auteur, Barack Obama voulait que les Etats-Unis se retirent d’Afghanistan, mais l’armée américaine a déjoué les plans de la Maison-Blanche.

Le même scénario pourrait se reproduire cette année, puisque deux mois avant la date du bilan, les généraux américains sont déjà en train de manifester leurs intentions en réclamant un renforcement des troupes pour douze à dix-huit mois supplémentaires. De telles exigences pourraient se révéler trop lourdes pour le Congrès américain comme pour la plupart des quarante-trois autres pays engagés en Afghanistan. Au cours de l’année écoulée, les violences ont augmenté de 50 %, les talibans ont gagné du terrain dans le nord et l’ouest du pays, et le combat pour prendre le Sud et l’Est pachtounes aux talibans est devenu plus sanglant. L’offensive de l’OTAN dans la province de Kandahar, lancée au début de l’été dernier, n’a ­toujours pas donné de résultats concluants.

Miser sur l’armée

La stratégie du général David Petraeus pour contrer les insurgés peut se résumer par le slogan “Nettoyer, tenir, construire et transférer”. Le dernier impératif étant le plus important, car il suppose que les forces américaines laissent aux Afghans le pouvoir et la responsabilité sur les territoires et les villes. Mais ce transfert sera-t-il possible dans la ceinture pachtoune, d’où sont issus 80 % des talibans ? Le véritable problème à long terme pour les troupes internationales est que l’Armée nationale afghane [ANA, Afghan National Army] ne sera pas prête à prendre la relève quand les troupes occidentales commenceront à quitter le pays l’an prochain. Certes, les effectifs ne manqueront pas : les troupes afghanes entraînées par l’OTAN ont atteint l’objectif de 134 000 soldats, même si beaucoup d’entre eux sont illettrés, fument du haschisch et sont enclins à déserter. Ses effectifs vont encore augmenter. Vers la fin de l’année, l’ANA devrait compter 150 000 hommes tandis qu’il y aura 100 000 policiers afghans, tous mieux entraînés. Bien que 80 % des unités afghanes soient maintenant associées à des unités de l’OTAN, aucune d’elles ne semble capable d’assumer seule des responsabilités. Les forces afghanes sont aux commandes à Kaboul, mais c’est parce que la capitale bénéficie d’une importante présence occidentale. Avec une administration et un gouvernement aussi faibles dans les zones périphériques, comment les soldats afghans peuvent-ils assurer la stabilité du pays ? D’autant que la formation des fonctionnaires en Afghanistan est très en retard et que la corruption règne à tous les échelons.

Le plus gros handicap de l’armée afghane est son manque d’officiers et de soldats pachtounes dans les provinces du Sud. Cette situation tient en grande partie aux événements passés. Je me trouvais en Afghanistan dans les années 1980 quand, par deux fois, l’armée afghane, forte de 100 000 hommes, s’est désintégrée et qu’elle a été reconstruite à trois reprises. La première débâcle s’est produite après l’invasion soviétique dans les années 1979-1980, quand les soldats ont déserté et rejoint les moudjahidin. La seconde date de 1992, après l’effondrement du régime communiste afghan. Fondée sur le système de conscription, l’armée a été reconstruite en 1981-1982 grâce aux investissements massifs des Soviétiques en capitaux, matériel et entraînement. Puis elle a été partiellement reconstituée de 1987 à 1989, après les lourdes pertes et le découragement engendrés par les victoires des moudjahidin. Enfin, après le départ des troupes soviétiques en 1989, elle a bénéficié de la remarquable restructuration du président Mohammed Najibullah, qui a enrôlé des milices tribales et des seigneurs de guerre, ce qui lui a valu de rester au pouvoir trois ans de plus.

A chaque reconstruction, il y avait un groupe d’officiers issus des Ghilzais, une tribu pachtoune qui compte environ 9 millions d’individus, soit 20 à 25 % de la population afghane. Cette tribu est originaire de l’est de l’Afghanistan, et en particulier des provinces de Khost, Paktia et Paktika, qui forment la région de la Loya Paktia (“grande Paktia”). La plupart avaient été entraînés et instruits par les Soviétiques, mais ils étaient surtout d’irréductibles nationalistes afghans et pachtounes, qui avaient servi les rois d’Afghanistan depuis le XIXe siècle. Ils ont sauvé le fragile régime communiste afghan à de multiples reprises en encourageant les soldats à lutter contre ce qu’ils appelaient l’“invasion soutenue par l’étranger” des moudjahidin basés au Pakistan. Aujourd’hui, il n’y a plus d’officiers pachtounes dans l’armée et la majorité des officiers supérieurs sont des non-Pachtounes qui ont combattu les talibans dans les années 1990 [voir graphique]. L’envoi d’unités commandées par des officiers hazaras et tadjiks dans des régions pachtounes pour se battre aux côtés des Américains représente aux yeux de nombreux Pachtounes une double occupation : celle d’étrangers et d’ennemis ethniques.

Un recrutement stratégique

Aujourd’hui, la région de la Loya Paktia est contrôlée par Jalaluddin Haqqani, insurgé afghan allié d’Al-Qaida et ancien moudjahid, dont le réseau terrorise la population pachtoune de l’est de l’Afghanistan. Aussi longtemps que cet homme gagnera du terrain, il sera impossible de créer une classe d’officiers issus de cette région. Les Etats-Unis et l’OTAN n’ont pas davantage réussi à enrôler des soldats issus de la tribu pachtoune des Durrani [5 millions de personnes], qui dominent les provinces de Helmand, Kandahar, Oruzgan et Zabul dans le Sud contrôlé par les talibans. Cela n’a rien d’étonnant dans la mesure où, de 2001 à 2005, les Etats-Unis ont ignoré cette région et permis aux talibans de reprendre la direction des opérations. Aujourd’hui, l’OTAN s’efforce de créer un équilibre ethnique et géographique au sein de l’armée par sa méthode de recrutement : elle enrôle des Pachtounes, mais pas dans les bonnes tribus ou dans des provinces dont la géographie n’est pas aussi stratégique. Voilà les raisons majeures pour lesquelles l’Occident – à moins d’être prêt à rester cinq à dix années de plus en Afghanistan – doit entamer des négociations avec les talibans. La première chose à faire pour Barack Obama est d’écarter les experts militaires de son bilan politique et de fonder ses décisions sur les réalités du terrain plutôt que sur des espoirs et des objectifs excessifs.

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