Nombre de pays africains voient dans le nucléaire une solution à leur pénurie énergétique. Sans avoir les moyens nécessaires pour gérer les risques.
En août 2010, le président égyptien de l’époque, Hosni Moubarak, et le directeur général de l’Agence soudanaise pour l’énergie atomique, Ahmed Hassan Al-Taïeb, ont publiquement annoncé leur intention de construire des centrales nucléaires pour produire de l’énergie. L’Afrique est le continent le moins bien équipé sur le plan énergétique et qui considère cette option comme une possibilité très concrète, réalisable dans un délai relativement court : dix à vingt ans tout au plus.
L’Afrique a aujourd’hui la consommation d’énergie par habitant la plus basse au monde et elle ne représente que 3 % de la consommation énergétique mondiale. Mais elle est aussi le continent qui connaît l’expansion démographique la plus forte, avec des mégalopoles de plusieurs dizaines de millions d’habitants. La consommation d’énergie est donc appelée à augmenter de manière exponentielle à assez brève échéance.
L’étonnant est que même des pays producteurs d’hydrocarbures envisagent de s’orienter vers le nucléaire. Le Soudan, par exemple, qui pourtant n’exploite ses réserves pétrolières que depuis une dizaine d’années (août 1999). Le géant du pétrole africain qu’est le Nigeria – premier producteur du continent et septième du monde – a lui aussi exprimé des ambitions nucléaires. Il en va de même pour l’Algérie, la Tunisie ou encore le Ghana, qui a commencé à exploiter ses gisements offshore voici à peine quelques mois. La liste des pays intéressés par le nucléaire comprend aussi le Kenya, le Maroc, l’Ouganda, le Sénégal et le Niger. Ce dernier possède d’importantes réserves d’uranium qu’il projette d’exploiter sur son propre territoire en dépit de son instabilité politique et de la présence accrue de groupes terroristes liés à Al-Qaida. Pour Niamey, cela suppose de distendre ses liens anciens et quasi exclusifs avec la France, l’ancienne puissance coloniale qui est aussi le pays le plus nucléarisé du monde. Depuis près de quarante ans, Paris jouit d’un monopole absolu sur l’uranium nigérien par l’intermédiaire d’Areva (société issue de la fusion de la Cogema et de Framatome), qui contrôle également l’exploitation de l’uranium au Gabon.
Cette primauté française est aujourd’hui menacée par la Chine. Depuis 2007, l’agence d’Etat chinoise Sino-U, chargée des importations d’uranium, a signé d’importants contrats avec le gouvernement nigérien, en échange d’investissements dans la construction d’une centrale hydroélectrique, d’une usine thermoélectrique à charbon, d’oléoducs et de raffineries. L’Afrique détient 18 % des réserves mondiales d’uranium, mais elle n’a pas la technologie ni le savoir-faire requis pour produire de l’énergie nucléaire. C’est pourquoi la France et la Chine, mais aussi le Japon, la Russie et la Corée du Sud, proposent leur collaboration ou la vente de technologies de pointe.
Certains pays ont déjà commencé à investir concrètement dans le nucléaire. L’Afrique du Sud poursuit son programme nucléaire civil avec la centrale de Koeberg, construite entre 1976 et 1985 par Framatome, qui sert aussi à stocker des déchets. De son côté, l’Egypte a déterminé l’emplacement de sa première centrale sur la côte méditerranéenne, à proximité de la ville d’Al-Dabaa. De l’autre côté de l’Afrique, le Nigeria a, semble-t-il, signé un accord de transfert de technologie nucléaire et d’assistance technique avec l’Iran, au grand mécontentement des pays occidentaux, à commencer par les Etats-Unis. On soupçonne également Abuja d’avoir conclu des accords de coopération pour la fabrication de missiles nucléaires avec le Pakistan et la Corée du Nord. Ce qui est sûr, c’est qu’en 1999 la Chine a fourni au Nigeria un réacteur de recherche dont l’usage n’est pas clair. Les ambitions nucléaires du Sénégal sont beaucoup plus récentes. “Etant donné que nous avons de l’uranium, je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions pas l’utiliser pour construire une centrale de production d’électricité”, a déclaré en mars 2010 le président Abdoulaye Wade. Il a également fait allusion à un possible partenariat avec Areva et évoqué un projet russe. En Afrique du Nord, l’Algérie a beaucoup progressé, du moins sur le papier, dans la planification de sa production énergétique. Compte tenu de ses réserves d’hydrocarbures, qui devraient arriver à épuisement d’ici à 2030, le gouvernement algérien a lancé des projets sur plusieurs fronts : nucléaire, mais aussi énergies renouvelables. Le pays, qui a été le théâtre de 17 essais nucléaires français entre 1960 et 1966, possède déjà, à Aïn Oussera, un réacteur expérimental fourni par Pékin. Un autre réacteur de recherche, situé à Draria, à 20 kilomètres de la capitale, a été fourni par l’Argentine. Dans les années 1990, les services de renseignements occidentaux ont soupçonné le site – qui a été agrandi et modernisé – de produire des matériaux à usage militaire.
La république démocratique du Congo possède elle aussi un réacteur nucléaire [de recherche], que les Etats-Unis ont offert au dictateur Mobutu Sese Seko en 1972. C’est sur ce site – toujours en service à Kinshasa – que plusieurs barres d’uranium ont disparu, pour aboutir sur le marché noir. Certaines d’entre elles ont été mystérieusement retrouvées à Rome en 2001. La mine d’uranium de Shinkolobwe [officiellement fermée depuis plusieurs années] est exploitée illégalement par des milliers de mineurs qui revendent ce précieux et dangereux minerai [ainsi que du cobalt] sur un marché qui manque de transparence.
Il est clair que, outre leur coût exorbitant, les programmes nucléaires civils nécessitent des compétences que beaucoup de pays d’Afrique – entre autres – ont du mal à maîtriser, qu’il s’agisse du contrôle des mines d’uranium ou de la gestion des déchets radioactifs (y compris ceux que certains pays occidentaux stockent en Afrique !) Il ne faut pas oublier la menace représentée par les groupes criminels ou terroristes locaux ou internationaux, ainsi que l’instabilité et l’insécurité qui règnent dans beaucoup de pays, et la corruption endémique. A quoi s’ajoute le risque, relevé par différents analystes, d’une nouvelle forme de “colonialisme nucléaire”. Aussi pour de fragiles gouvernements africains, la difficulté à gérer tous ces facteurs pourrait-elle avoir de terribles conséquences.
07.04.2011 | Anna Pozzi | Mondo e Missione
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