Il y a quelques mois déjà, Charlie révélait l’eldorado du gaz de schiste français. Un filon que Sarkozy compte bien offrir clés en main à deux de ses très grands amis: Paul Desmarais et Albert Frère.
Dans la famille gaz de schiste, ne cherchez plus le père, car il s’agit de Paul Desmarais. Le vieux, le vrai, celui qui est né en 1927. Rappelons — ce ne sera jamais de trop — que l’industrie entend faire de la France un pays producteur de gaz et de pétrole, tous deux piégés dans des couches de schiste, à quelque 2000 mètres de profondeur. Notre excellent gouvernement a refilé des permis d’exploration, qui ouvrent la voie à l’exploitation, à des compagnies françaises (Total, GDF Suez), mais aussi américaines, comme Hess, farcie d’anciens ministres amerloques de l’époque Bush. C’est un début d’eldorado, sur 10% de la superficie de la France. Pour commencer.
Desmarais. Si vous voulez faire pleurer Sarkozy, rappelez-lui la défaite de Balladur, son chéri, au premier tour de l’élection présidentielle de 1995. Pour notre ami Nicolas, c’est la traversée du désert. Il n’est plus rien. Sauf là-bas, au Canada, chez le milliardaire Paul Desmarais, qui adore les questions d’énergie. Sarkozy vient lui rendre visite dans son immense domaine de Sagard — trente-deux lacs —, et le mieux est de sortir son mouchoir: «Si je suis aujourd’hui président de la République, je le dois en partie aux conseils, à l’amitié et à la fidélité de Paul Desmarais. 1995 n’était pas une année faste pour moi. Un homme m’a invité au Québec dans sa famille. Nous marchions de longues heures en forêt et il me disait: "Il faut que tu t’accroches, tu vas y arriver, il faut que nous bâtissions une stratégie pour toi1."»
Décryptage. Nous sommes le 15 février 2008 à l’Élysée, vers 18h20, et Sarkozy décore Paul Desmarais, la larme à l’œil, des insignes de grand-croix de la Légion d’honneur. Non, on ne pouffe pas. C’est notre décoration la plus haute. Il doit y avoir moins de soixante-dix grands-croix en vie. Sont présents pour claquer la bise à Desmarais et à Sarkozy Bernard Arnault, Martin Bouygues, Serge Dassault et l’immense copain en affaires de Desmarais, le Belge Albert Frère. Ce Frère si proche recevra peu après la même distinction, toujours des mains de Sarkozy. Deux étrangers grand-croix en si peu de temps, intimes en outre, cela ne s’est encore jamais vu dans toute l’histoire de la République. Bon, étant entendu que vous n’êtes pas sourdingues, résumons: notre président doit tout à Desmarais, évidemment présent au Fouquet’s le 6 mai 2007, soir de l’élection de Sarkozy. Et pas mal à Frère.
L’affaire des gaz de schiste était-elle déjà dans les tuyaux? C’est bien possible, mais Charlie, ne disposant pas d’un budget suffisant, n’a pas pu acheter l’information. Qui existe sûrement. La chronologie va nous aider à mieux comprendre. Desmarais n’est pas seulement un grand amoureux de Sarkozy. Il est de longue date un proche de la famille Bush, George le père en tête. Il a suivi de près l’essor prodigieux du gaz de schiste aux États-Unis, où en quelques années cinq cent mille puits ont été creusés. Et il ne lui a pas échappé que des gisements existent en Europe, et en France.
Or, qui peut forer et exploiter côté français? GDF, Suez et Total. Pendant des années, à partir de 2002 surtout, le duo Desmarais-Frère manœuvre pour une fusion entre GDF et Suez. Sarkozy, alors ministre de l’Économie, débloque le dossier en 2004 en permettant l’ouverture du capital de GDF. À la suite de nombreuses péripéties, la fusion est acquise en septembre 2007, après l’élection de Sarkozy. Le Canard enchaîné du 6 septembre 2006 annonçait de son côté que l’opération était en réalité «en projet depuis des mois, voire des années».
La suite? Elle est belle comme un bilan de société cotée en Bourse. On va essayer de ne pas vous larguer. Dans le fond, c’est simple. Les intérêts transnationaux de Desmarais et de Frère sont intimement liés dans de nombreuses structures. La plus connue peut-être s’appelle la Compagnie nationale à portefeuille (CNP), qui est une société d’investissements majeure. Avec ses deux filiales Pargesa et GBL, la CNP est en toute simplicité le plus gros actionnaire privé de Total et de GDF Suez, qui poussent tant à l’extraction des gaz de schiste. Fini? Tu parles que non. Albert Frère a créé de son côté une coentreprise avec la société australienne European Gas Limited, vouée à l’extraction de gaz, essentiellement en France. Lecteur, si tu vois sur un permis d’exploration français la mention «European Gas Limited», pense une seconde à Albert, qui l’a bien mérité.
Une dernière pour la route. Frère et Desmarais sont en train de prendre le contrôle de la société chimique Arkema, ancienne filiale de Total2. Son dividende a augmenté de 67% en 2010, selon Boursier.com. Et c’est bien normal, car Arkema fournira une belle part des produits chimiques utilisés dans l’extraction des gaz de schiste en France. Si, bien entendu, l’État impartial accorde le feu vert, pour l’heure orangé. La décision est attendue avant l’été. Selon des informations sérieuses, mais non recoupées pour le moment, le dossier des gaz de schiste ne serait pas traité, pour l’essentiel, dans les deux ministères directement concernés, celui de l’Écologie et celui de l’Industrie. Suspense.
1. Voir entre autres Radio-Canada du 16 février 2008 et www.performancebourse.com du 18 février 2008.
2. www.boursereflex.com , le 31 décembre 2010.
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