L'agence nationale d'évaluation de l'enseignement supérieur et de la recherche (AERES) fait partie de ces créatures récentes (2006) enfantées par le "new public management" d'inspiration néo-libérale qui oriente le processus de Bologne de reformatage des universités européennes d'une part et l'autoritarisme politique grandissant des États européens tendant à subordonner au pouvoir politique central toutes les entités intellectuelles, pédagogiques, journalistiques et judiciaires susceptibles de constituer des contre-pouvoirs dans les sociétés démocratiques d'autre part.
Le Président de l'AERES est nommé par le Président de la République et les membres du conseil d'administration sont nommés par le gouvernement sur proposition du ministre ou des présidents d'université ou d'instances d'évaluation. De même les "comités d'évaluation" venant inspecter les universités ou les laboratoires sont nommés par les dirigeants de l'AERES. Autrement dit, c'est une structure technocratique, lourdement verrouillée par le pouvoir politique, et qui place ainsi l'examen de l'activité scientifique sous des logiques qui lui sont étrangères.
La dernière illustration en date de ce néo-soviétisme de droite, en tant qu'il place tout service opérationnel de l'enseignement supérieur et de la recherche sous le contrôle politique d'une structure hiérarchique directement subordonnée au pouvoir politique, vient d'être fournie par la publication récente d'un critère d'évaluation xénophobe utilisés par l'AERES dans l'évaluation des laboratoires de recherche. Dans le document joint en annexe 1 des rapports d'évaluation envoyés aux laboratoires inspectés, l'AERES expose les significations de ses notations A+, A, B, C attribuées aux unités de recherche. Voir par exemple : http://ccj.univ-provence.fr/IMG/pdf/Courrrier_notes_VAGUE_B.pdf
Dans ce document intitulé "Interprétation de l'échelle de notation multicritères (2011)" apparaissent cinq rubriques : "Production", Attractivité, Impact socio-culturo-économique", "Vie de l'unité", "Stratégie et projet scientifiques", "Note globale". Il y aurait beaucoup à dire sur les explications accompagnant chaque catégorie de note dont le flou artistique, les formulations folkloriques ou ésotériques, les vastes louches d'approximations pifométriques, la niaiserie bling-bling de certains critères, l'emphase des qualificatifs sans objectivation possible... ressemble beaucoup aux explications que les voyantes professionnelles associent chaque matin aux signes de l'horoscope du jour.
Mais une attention particulière doit être accordée au summum de l'excellence dans la deuxième rubrique dont l'intitulé est déjà en soi un morceau d'anthologie :
Rubrique : Attractivité, Impact socio-culturo-économique
Note A+ : visibilité internationale
Explication de note : L'unité est attractive au niveau international. Elle attire des chercheurs étrangers de haut niveau et accueille de manière très significative des docs et postdocs avec leur financement, en provenance de l'Europe de l'Ouest, d'Asie, d'Amérique du Nord (alt. Des pays développés). Elle est leader (ou PI) dans des programmes internationaux. Ses actions ont un retentissement international.
En délimitant ainsi géographiquement et économiquement les origines des chercheurs pouvant être invités par les laboratoires français pour valoriser une unité de recherche ou participer à sa visibilité internationale ou refléter son attractivité internationale, l'AERES explicite un critère de xénophobie post-coloniale tendant à considérer tous les chercheurs originaires d'Afrique ou du Moyen-Orient, par exemple, comme inutiles ou incompétents ou problématiques pour des raisons indicibles.... Tout à fait conforme à la vision élyséenne d'une Afrique réduite aux grossièretés rustres du Discours de Dakar et aux orientations xénophobes des politiques publiques menées depuis des années, cette publication confirme qu'une agence d'évaluation placée sous l'autorité directe d'un pouvoir politique s'aligne inéluctablement sur les orientations idéologiques dudit pouvoir lorsque celui-ci se met à dériver comme c'est le cas aujourd'hui en France et en Europe sous l'empire des nationalismes xénophobes.
Dire que l'AERES est xénophobe implique naturellement de préciser le concept de xénophobie : le mot « xénophobie » est apparu en français dans les premières années du 20ème siècle (Nouveau Larousse Illustré, 1906) avec une signification psychologique voire caractérologique : on parle d'état d'esprit ou de sentiment xénophobe ; on désigne des comportements individuels ou collectifs ; l'expression d'émotions d'hostilité ou de haine à l'égard des étrangers. Mais en un siècle les définitions ont évolué. Le grand dictionnaire terminologique de l'Office Québécois de la Langue Française propose deux entrées (« Préjugé défavorable à l'égard des étrangers. Note : La xénophobie est fondée sur des stéréotypes, généralisations sans fondement, nées de rumeurs, d'incompréhensions, de mœurs différentes. » et « Hostilité vis-à-vis des étrangers, d'origine sociale, et non pathologique. ») qui soulignent le caractère social plus que psychologique de telles croyances ou émotions. Cela reflète une évolution du signifié qui oscille entre un sens commun plutôt psychologique et une conceptualisation sociologique en cours d'élaboration.
Dans cette perspective sociologique on peut définir la « xénophobie » comme l'ensemble des discours et des actes qui - en dehors de situation ou menace d'invasion militaire - tendent à désigner l'étranger comme un problème, un risque ou une menace pour la société d'accueil et à le tenir à l'écart de cette société, que l'étranger soit au loin et susceptible de venir, ou déjà arrivé dans cette société ou encore depuis longtemps installé. Cette définition préalable permet de distinguer différents aspects du phénomène : xénophobie populaire et xénophobie élitaire par différenciation, dans la sociologie « élitiste », entre une minorité gouvernante et une masse gouvernée ; xénophobie contestataire et xénophobie de gouvernement, si l'on rapporte le phénomène xénophobe à la distinction usuelle entre « partis de gouvernement » et autres partis ou simplement entre gouvernants et gouvernés. Ces distinctions permettent ensuite de s'interroger sur les dynamiques sociales et les relations historiques entre les formes élitaires ou gouvernantes de la xénophobie et ses formes populaires ou contestataires.
La xénophobie d'Etat est la forme la moins connue de xénophobie parce que la moins identifiée par les « élites » dirigeantes qui sont alors au cœur du phénomène lui-même et de sa définition. Mais si l'on rapporte la notion d'Etat aux connaissances acquises dans la sociologie de l'action publique, on peut la définir la comme l'ensemble des discours et des actes publics, émanant d'autorités publiques, produisant, volontairement ou involontairement, cet effet de stigmatisation de l'étranger comme problème, risque ou menace. Cette forme de xénophobie a une histoire, des caractéristiques et des formes d'expression spécifiques. Les discours peuvent prendre la forme orale des déclarations ministérielles ou celle, écrite, des rapports administratifs et textes de droit... Les actes peuvent être ceux de fonctionnaires de police sur le terrain ou ceux de hauts fonctionnaires des finances préparant des choix budgétaires... Cette stigmatisation peut apparaître dans les mots et gestes d'acteurs administratifs ou politiques spécialistes des étrangers mais aussi dans l'imperceptible infléchissement des référents et des pratiques d'acteurs a priori éloignés de ce sujet (médecins, travailleurs sociaux, éducateurs, juges...). Dans le cas de l'AERES la stigmatisation est produite par la relégation des chercheurs dont l'origine géographique et géo-économique rend leur invitation peu valorisante pour les laboratoires français.
18.05.2011 - J. Valluy
Publié sur Médiapart :http://blogs.mediapart.fr/blog/jerome-valluy/180511/xenophobie-detat-laeres
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