17/06/2011

Affaire des frégates : la corruption à l’abri du Secret défense, pas le contribuable

Dans l’affaire dite des « frégates de Taïwan », les juges d’instruction souhaitaient avoir accès à des documents confidentiels, classés « secret défense » pour mener à bien leurs enquêtes. Trois ministres des finances successifs, Laurent Fabius, Francis Mer et Thierry Breton, se sont opposés à la demande de déclassification. De ce fait l’enquête pénale s’est achevée par une ordonnance de non-lieu. Par la suite, un arbitrage a été rendu au bénéfice de Taïwan, car un article du contrat de vente interdisait toute commission et tout recours à un intermédiaire. Or la part de Thalès, chef de file du contrat, était de 27% et celle de la Direction des chantiers navals, entreprise publique dont l’intervention dans le contrat était garantie par l’Etat, de 73%. Sur les 630 millions d’euros infligé par le tribunal arbitral, 460 millions seront donc payés par le contribuable (soit ce que devait rapporter, par an, le non remplacement d’un fonctionnaire sur deux).

Le secret défense a pour objet la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la nation dans les domaines de la défense, de la sécurité intérieure et de la protection des activités économiques et du patrimoine. Mais il est de plus en plus dévoyé, pour protéger les abus de pouvoir et la corruption. La loi de programmation militaire du 29 juillet 2009 a encore aggravé la situation, par une extension du champ du secret défense. Une classification permettant la protection de lieux est instituée, alors que la notion de secret défense ne concernait jusqu’à cette date que des informations. Une procédure lourde de perquisition de ces lieux est prévue, qui exige notamment la présence du président de la Commission consultative du secret défense. Les enquêtes relatives à la corruption internationale sont déjà complexes. Elles le seront encore plus.

La situation de la France est singulière. Au Royaume-uni, les juges reconnaissent à l’administration un large privilège de rétention des informations, mais ils en contrôlent l’utilisation. En Allemagne, les tribunaux contrôlent la décision de refus de communiquer les informations classifiées et, s’il jugent ce refus infondé, ils peuvent exiger leur communication. En Italie, si le juge souhaite disposer de documents pour lesquels le secret d’État lui est opposé, le conflit est tranché par la Cour constitutionnelle. En Espagne, la Cour suprême opère un contrôle sur le refus du Conseil des ministres de déclassifier des documents au cours d’une procédure judiciaire.

La France est un des rares pays démocratiques où le secret défense protège aussi efficacement la corruption de l’oligarchie politico-économique.

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