avec la participation d'Ahmed Akoli
« Le conflit en Libye n’a que des conséquences négatives sur la communauté touareg de la région sahélo-saharienne: c’est la région du futur, de plus en plus au centre de l’attention, tant par les grandes puissances que par les réseaux terroristes ou criminels. Le nord du Niger est directement impliqué, les touareg y perdent le contrôle du territoire, perdent le soutien économique du régime libyen et maintenant sont présentés comme des «mercenaires à la solde de Mouammar Kadhafi». Certaines définitions ne nous aident pas ». C’est un touareg, Ahmed Akoli, ancien secrétaire politique de l’ex-rébellion Mouvement des nigériens pour la justice (Mnj), à en parler à la MISNA, alors que les médias, surtout francophones, rapportent surtout les rumeurs selon lesquelles le rais libyen serait à la frontière avec l’Algérie «protégé» par les touaregs. Certaines sources indiquent également que les touaregs auraient récemment reçu beaucoup d’armes en provenance de Libye.
Le soutien de Kadhafi au mouvement touareg n’est en fait pas un secret. Dans le passé, certains de leurs mouvements en lutte contre les gouvernements respectifs, en particulier au Niger et au Mali, sont passés en Libye. Au milieu des années 90, le colonel a joué le rôle de médiateur dans le processus de paix entre les gouvernements et leurs rébellions respectives.
« La région d’Agadez, qui a toujours été dénigrée et ignorée par le gouvernement central de Niamey – soutient Akoli – a bénéficié d’investissements en provenance de Tripoli. Le marché local est approvisionné principalement par des produits en provenance de Libye. La première conséquence directe du conflit a été une hausse des prix et plus de difficultés économiques pour la population ».
« Ce n’est pas seulement pour cette raison que le sort des touaregs est à risque – poursuit Akoli – malgré les changements de pouvoir et une représentation dans les institutions ; qui détient vraiment le pouvoir au Niger, c’est-à-dire l’armée, reste entre les mains des Zarma. Il faudra un certain temps avant de voir les bénéfices des petites améliorations faites en faveur du développement local. Dans ce contexte, de nombreux jeunes, sans perspectives, finissent par prendre les armes. La plus grande crainte est qu’ils soient manipulés par des groupes criminels non originaires de notre région, je me réfère par exemple aux salafistes, aux groupes liés à Al-Qaïda, qui n’ont rien à voir avec les mouvements touaregs. »
Les frontières du désert sont très lucratives pour les contrebandiers et les criminels. La plus grosse activité, affirme le membre du Mnj, « est celle de la drogue: nous sommes sur un axe de convois de stupéfiants venant d’Amérique Latine pour remonter en Europe. Le contrôle de la zone est d’une importance stratégique ».
Il l’est également pour les grandes puissances, de Paris à Pékin, pour le contrôle des ressources naturelles. Le désert du Sahara contient de l’uranium, du pétrole et du gaz. Des ressources énergétiques qui font dire à Moussa Tchangari, secrétaire général du réseau «Alternative Espace citoyen» que « le vrai but de la déstabilisation de la Libye est le contrôle de toute la zone saharienne », depuis le nord du Tchad à la Mauritanie. «La région pourrait également intéresser Washington, qui recherche des bases solides pour « Africom», le commandement militaire américain qui devrait servir à partir d’Afrique, officiellement, à contrer le terrorisme.
« Avant la décolonisation – rappelle Tchangari à la MISNA – la France voulait fonder un Etat du Sahel, ce qui aurait amputé à chaque pays des régions où les ressources sont présentes ». Pour cette raison et bien d’autres, les rébellions des nomades touaregs, maîtres du désert, « étaient autrefois considérées comme légitimes par les mêmes puissances qui les accusent aujourd’hui. Il semblerait maintenant que les Touaregs soient devenus gênants. Il y a beaucoup de propagandes dans toutes ces déclarations, qui sont destinées à montrer que Kadhafi a perdu tout soutien dans son pays », selon Tchangari, qui n’appartient pas à la communauté touarègue.
Le nouveau jeu qui se dessine sur l’échiquier du Sahel ne laisse pas présager un avenir de paix et de stabilité. « Parmi les premiers bénéficiaires, il y aura les organisations comme Al-Qaïda, qui trouveront avec l’occupation occidentale une motivation pour alimenter l’insécurité et entrer sur le territoire » concordent sur ce point Tchangari et Akoli.
Jusqu’ici, peu de voix s’élèvent de la communauté touarègue locale, une communauté fière, mais aussi volatile. Les informations ou plaintes qui arrivent aux médias internationaux sont souvent issues de la diaspora et sont difficiles à vérifier. Certaines personnes parlent de «massacre des touaregs» en Libye par l’insurrection. Mais il n’est pas facile de distinguer qui, parmi les sub-sahariens, se trouve en Libye pour servir les forces armées de Kadhafi et qui était là pour travailler et chercher une vie digne et a injustement souffert d’abus et de discrimination. « Dans cette problématique, les médias ont une grande responsabilité : ici aussi, au Niger, nous voyons les mêmes nouvelles rabâchées, non vérifiées, sans peser les conséquences », conclut Tchangari, également rédacteur en chef de Alternative Hebdo.
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