Ici, on l'appelle "la route de l'uranium". Elle relie la ville de Tahoua, à l'ouest de la capitale, à Arlit, dans le nord du pays, où se trouvent les mines exploitées par l'entreprise française Areva. Daouda et ses amis la connaissent bien. Ces jeunes du quartier Terminus, dans le centre de Niamey, ont presque tous de la famille dans le Nord. Et ils ne décolèrent pas. "Faire ce voyage est à chaque fois un cauchemar", affirme Daouda, expliquant qu'une longue journée est nécessaire pour venir à bout de cette route de 600 km devenue au fil des ans une mauvaise piste.
Comme lui, beaucoup de Nigériens y voient le symbole du manque de retombées de l'exploitation de l'uranium pour les populations. Le Niger, pays sahélien frontalier du Mali, est le quatrième producteur mondial de ce minerai, mais il est aussi, avec la République démocratique du Congo, le plus pauvre de la planète. "C'est une situation que l'on ne peut pas comprendre", souligne Ali Idrissa, coordinateur du Rotab, un réseau d'associations locales qui milite pour une meilleure redistribution des ressources minières du pays. Mais le militant estime que la période est au changement.
Début février, le président du Niger, Mahamadou Issoufou, a déclaré vouloir revoir son partenariat avec Areva, présent depuis quarante ans dans le pays, estimant qu'il n'est pas "gagnant-gagnant". Selon le chef de l'Etat, le Niger tire de son uranium 100 millions d'euros par an, à peine 5 % de son budget. "Ce n'est pas admissible", a-t-il déclaré, ajoutant : "C'est la seule solution pour que ce partenariat soit durable."
"LE TEMPS DES MONOPOLES EST TERMINÉ"
Si les autorités nigériennes accroissent leur pression, c'est que les contrats des deux grandes mines d'Arlit et d'Akokan arrivent à échéance à la fin de 2013. L'Etat nigérien veut-il obtenir une hausse du prix d'achat de son uranium (les cours mondiaux ne lui sont pas favorables) ? Accroître sa part dans les sociétés d'exploitation ? "Nous ne savons rien de la teneur des discussions", avoue Ali Idrissa. Début mars, le groupe Areva a juste confirmé que des négociations étaient en cours.
L'autre dossier-clé pour le Niger est la mine d'Imouraren (nord). Avec une production attendue de 5 000 tonnes par an, elle devrait faire du pays le deuxième producteur mondial d'uranium, mais sa mise en exploitation par Areva est sans cesse reportée, au grand dam de l'actuel gouvernement nigérien qui compte sur ces ressources supplémentaires. Le groupe a récemment annoncé qu'il verserait 35 millions d'euros au Niger sur trois ans. Cette somme, présentée comme une aide pour sécuriser les sites d'uranium - après les prises d'otages de 2010 , est en réalité, selon un document confidentiel rendu public, une indemnité pour compenser le retard pris à Imouraren.
Dans ce rapport de force, le Niger tire parti de la compétition internationale pour l'accès aux matières premières. Les autorités n'hésitent pas à brandir la menace de la concurrence chinoise. L'ancien président Mamadou Tandja, renversé en 2010, s'en était déjà servi pour obtenir le doublement du prix d'achat de l'uranium. La Chine a depuis obtenu la mine d'Azelik (nord) et surtout l'exploitation du pétrole à l'est. A Niamey, le "pont de l'amitié" Chine-Niger flambant neuf qui enjambe le fleuve Niger témoigne de cette présence croissante de Pékin et de sa "diplomatie du cadeau". "Le temps des monopoles est terminé", estimait début février le président de l'Assemblée nationale, Hama Amadou.
Dans sa démarche, le gouvernement est aussi poussé par les attentes d'une société civile solide qui a déjà obtenu plusieurs avancées, dont une loi prévoyant que 15 % des revenus miniers et pétroliers reviennent aux régions d'extraction et l'inscription dans la Constitution de garanties sur la gestion des ressources naturelles.
Dernier atout de la partie nigérienne : le président Issoufou, élu en 2011, est un ancien responsable du secteur minier, et est donc parfaitement au fait des subtilités de telles négociations.
Charlotte Bozonnet
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