
Alors que la crise touche des millions de gens au Niger et au Mali, le CICR a choisi d'assister les populations dans le nord des deux pays. Pourquoi ?
C'est parce qu'en plus d'avoir à subir une pluviométrie exceptionnellement basse depuis 2009, ces zones sont aussi touchées, depuis quelques années, par une violence armée récurrente. Aussi, à côté des communautés d'agriculteurs, ces régions comptent beaucoup d'éleveurs, qu'il est plus compliqué d'assister car ils sont pour la plupart nomades. Enfin, les acteurs humanitaires et de développement, ONG internationales et acteurs locaux, y sont peu nombreux en raison de l'insécurité latente et disposent de moyens limités.
Le CICR, lui, travaille déjà dans ces régions depuis 2007 afin de soutenir les populations affectées par les violences. Au Niger, il s'agit des zones montagneuses de l'Aïr, au nord d'Agadez, et des départements de Ouallam et Fillingué dans la région de Tillabéry, au nord-ouest. Et au Mali, des cercles de Ansongo et Ménaka dans la région de Gao, et des régions de Kidal et Tombouctou.
L'assistance du CICR a pour objectif premier de permettre aux communautés d'agriculteurs de survivre entre les deux moissons, durant la période critique dite de "soudure", et aux éleveurs de vivre de leurs cheptels. Il s'agit aussi de contribuer à la stabilisation de la situation sécuritaire et au retour des déplacés, en favorisant la reprise de la vie économique telle qu'elle existait avant les violences.
Comment expliquer les violences intercommunautaires dans ces régions ?
Les zones concernées sont habitées par plusieurs communautés et groupes ethniques dont les activités économiques et les modes de vie diffèrent. Les Djermas, par exemple, sont majoritairement des agriculteurs. Et les Peuls, majoritairement des éleveurs, semi-nomades, qui se déplacent en suivant les zones de pâturage.
Or, c'est dans ces régions que se situe la limite entre les zones d'élevage, au nord, et agricoles, au sud. Les disputes le long de cette limite sont récurrentes. Elles durent parfois depuis de longues années. Dans certains cas, l'origine de la dispute n'est plus vraiment connue des acteurs eux-mêmes, victimes alors du cercle vicieux de la revanche.
Une grande partie du problème vient du fait que les routes migratoires des animaux et les zones de pâturages sont floues et sujettes à interprétations différentes selon qu'on se situe dans l'une ou l'autre des communautés. Pendant la saison des pluies (entre juin et septembre), les gens sont occupés à travailler dans les champs et les pâturages sont plus étendus. Il y a donc moins de pression sur les deux communautés. La vie est moins dure pour tout le monde. C'est durant la saison sèche que la pression économique pousse certains à entrer dans les territoires des autres ou considérés comme tels. Celle allant de septembre 2008 à juin 2009 a été particulièrement violente.
Cela dit, depuis la fin de la dernière saison des pluies, en septembre 2009, la violence a fortement baissé. D’où notre intérêt d'assister les populations afin de consolider le calme relatif qui prévaut aujourd'hui, surtout au vue de la sécheresse qui pourrait amplifier encore plus ces dynamiques de compétition conflictuelle entre les deux communautés.
Au Niger comme au Mali, il y a eu depuis 2007 une série d'affrontements entre groupes armés touaregs et forces de sécurité. Quelles en furent les conséquences pour les populations des régions concernées ?
Au Niger, les affrontements dans l'Aïr, au nord d'Agadez, ont engendré une insécurité générale pour tous les habitants de la région, soit plusieurs dizaines de milliers de personnes. Il s'agit surtout de Touaregs sédentarisés vivant principalement de l'élevage et du maraîchage. La région est souvent considérée comme le "panier à légumes" du Niger, alimentant tous les marchés du pays. La situation économique s'est alors dégradée, du fait de la difficulté à produire mais aussi à se déplacer afin de vendre sur les marchés, notamment à cause de l'utilisation de mines anti-véhiculaires.
Les accrochages et les opérations militaires ont aussi fait un certain nombre de morts et de blessés, et ont provoqué des déplacements de populations. Près de 20 000 personnes ont décidé de quitter leur foyer pour se mettre à l'abri dans des zones moins hostiles. Le CICR leur a distribué des articles essentiels de ménage et du matériel agricole.
Depuis l'été 2009, après l'arrêt des affrontements quelques mois plus tôt, les gens sont rentrés chez eux. Il n'y a plus aujourd'hui de déplacés. Le CICR les aide à reprendre une vie normale, même s'il reste à formaliser cet acquis que représente la paix actuelle, afin que cette stabilisation soit effective et durable. Et désormais, la crise alimentaire vient ajouter aux difficultés des populations.
Pour ce qui est du Mali, dans les régions de Kidal et Gao peuplées essentiellement d'éleveurs plutôt nomades, ceux-ci ont perdu une partie de leurs troupeaux à cause de l'insécurité.
Dans quelle mesure les mines au Niger et les enlèvements d'étrangers au Mali affectent-ils l'action humanitaire ?
Dans la région nigérienne de l'Aïr, les différents acteurs armés ont posé un bon nombre de mines anti-véhicules. Elles ont tué ou blessé plusieurs centaines de personnes, civils et militaires, et il y a encore aujourd'hui des incidents causés par ces mines. Elles contraignent les déplacements dans la région, ce qui a des conséquences sur l'économie locale mais aussi pour les acteurs humanitaires. Au CICR par exemple, nous utilisons uniquement certains axes, avec une extrême prudence.
Il est crucial aujourd'hui de localiser les zones contaminées et de procéder au déminage afin de libérer l'accès des populations et des organisations d'aide. Le problème, c'est que déminer coût cher. Et actuellement, les caisses sont vides au Niger. C'est pourquoi le CICR tente de convaincre les bailleurs de fonds internationaux de s'intéresser à cette dimension du problème. Et puis le déminage contribuerait aussi à soutenir le processus de stabilisation engagé.
Quant au risque d'enlèvement, il existe dans tout le Sahel. Souvent en effet, les otages sont transférés vers le nord du Mali, où ils sont retenus par leurs ravisseurs. C'est la principale raison pour laquelle presque toutes les organisations humanitaires ont quitté la région. Le CICR a pourtant décidé de rester, via notre bureau à Gao, afin de continuer d'assister les populations locales.
Le CICR a-t-il eu accès aux personnes arrêtées à la suite du coup d'État de février 2010 au Niger ?
Dès le 22 février, soit quatre jours après le coup d'État, nous avons pu rendre visite à toutes les personnes privées de liberté dans le cadre de ces événements, dont l'ex-président Tandja et plusieurs de ses ministres. Et nous les avons vues à plusieurs reprises depuis. J'ajoute que le CICR visite régulièrement, depuis 2004, des milliers de prisonniers dans les maisons d'arrêt du pays. Nous contribuons aussi à la réhabilitation des infrastructures sanitaires dans ces maisons d'arrêt et à la formation des directeurs de prisons. Toutes ces actions visent à rendre les prisons nigériennes plus humaines et nous avons une très bonne coopération avec l'administration pénitentiaire.
Dans ces régions passent un certain nombre de migrants originaires des pays de la côte atlantique et de l'Afrique sub-saharienne en général. Que fait le CICR pour aider ces personnes, qui se trouvent souvent dans une situation difficile ?
Avec la Croix-Rouge malienne, nous accueillons les migrants africains refoulés, au poste frontière de Tin Zaouatène au nord du Mali, une zone désertique et touchée par une insécurité chronique. Ils viennent principalement du Cameroun et du Nigeria, mais aussi du Bénin et du Togo, afin de chercher du travail dans les pays d'Afrique du Nord ou d'Europe.
Parmi eux figurent en effet des personnes particulièrement vulnérables, affaiblies physiquement et psychologiquement. Certains ont passé plusieurs semaines en détention avant d'être refoulés. Nous leur offrons repas et soins de santé de base. Nous transportons aussi les plus vulnérables – les femmes, les plus jeunes et les plus âgés, ceux qui sont blessés et particulièrement démunis – jusqu'à la ville de Gao, à 700 km au sud de la frontière. Là, ils peuvent profiter des infrastructures urbaines et certains sont pris en charge par des organisations caritatives. Ce qui nous importe, c'est de leur permettre de quitter la zone isolée où ils sont refoulés, et de préserver leur dignité.
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