19/01/2011

Médecins Sans Frontières critique l’option militaire de la France au Sahel


Médecins Sans Frontières critique l’option militaire de la France au Sahel

La présidente de MSF refuse «l’enrôlement» des humanitaires dans la lutte antiterroriste

L’organisation est «en train de reconsidérer ses actions» dans la région sahélienne

La stupeur et le consensus qui avaient prévalu au lendemain de la mort, le 8 janvier, des deux jeunes Français pris en otage au Niger laissent progressivement la place aux interrogations, voire à la colère.
Dans une lettre adressée le 12 janvier au ministre de la défense, Alain Juppé, des amis de l’une des victimes, Antoine de Léocour, estiment que «la France, patrie des droits de l’homme, sacrifie ses ressortissants sur l’autel d’orientations occultes ». «Sachez qu’à nos yeux la raison d’Etat ne doit jamaisl’emportersur le respect de la vie des citoyens», écrivent-ils au ministre dont ils réclament la démission, lui reprochant de pratiquer la « récupération politique» en «réduisant l’analyse de ce drame à un discours sécuritaire ».

Alors que des contradictions sont apparues dans les récits du drame successivement livrés par les autorités françaises, les ministres des affaires étrangères et de la défense devaient être entendus, mardi 18 janvier, par la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale. Vendredi, Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) a tenté d’exploiter le trouble en affirmant que l’un des otages avait été tué «par les Français» lors de l’opération militaire. Auparavant, l’ancien premier ministre Dominique de Villepin avait rappelé que «les trois interventions militaires successives qui ont eu lieu [contre des pirates somaliens en avril 2009, contre AQMI les 22 juillet 2010 et 8 janvier 2011] ont échoué». «Aurait-on pris la même décision s’il s’agissait de deux journalistes ou deux parlementaires?», s’est pour sa part interrogé Paul Quilès, ancien ministre (PS) de la défense dans Libération. Interrogée par Le Monde, Marie- PierreAllié,présidente de l’organisation non gouvernementale (ONG) Médecins sans frontières (MSF), exprime quant à elle «un sentiment de malaise ». « Nos deux concitoyens, estime-t-elle,ont été les victimes collatérales de combats qui sont le prolongement de la “guerre contre le terrorisme” engagée en 2001. » « Il semble, poursuit Mme Allié, que la nouvelle politique de la France en de à faire prévaloir la fermeté à l’égard d’AQMI sur la volonté de préserver la vie des otages. C’est en tout cas ce qui vient de se passer: on a donné la priorité à un combat plus global.» Or, déclare la présidente de MSF, «en tant qu’organisation humanitaire, nous ne
pouvons pas soutenir un choix de principe en faveur de l’option militaire. Cela heurte notre ligne de conduite qui est de donner priorité à la vie».

Si MSF se sent directement concernée par ce débat, c’est que l’organisation intervient, comme d’autres, dans plusieurs pays où sévissent les enlèvements et le terrorisme. La question du recours aux autorités étatiques pour régler une situation de type «prise d’otages»se trouve donc concrètement posée à elle. L’intervention militaire française au Sahel et son échec «nous conduisent à réfléchir
au type de relations que nous aurions avec les autorités françaises en pareil cas», déclare la présidente de MSF. «Les deux jeunes victimes se sont trouvées enrôlées à leur corps défendant dans la “guerre contre terrorisme”. En tant qu’organisation humanitaire intervenant dans des zones de conflit, c’est une situation que nous refusons. Si nous nous laissions récupérer par une des parties en présence, notre action deviendrait impossible.»
Des autorités françaises, la présidente de MSF attend « que la lumière soit faite sur le rôle et la responsabilité des uns et des autres», même si elle « comprend que, dans une affaire aussi délicate, certaines choses doivent être entourées de discrétion ». Pour l’heure, l’organisation est « en train de reconsidérer ses actions » dans la région sahélienne. Avec les autorités nigériennes, elle réfléchit « aux moyens de continuer d’intervenir auprès des populations les plus vulnérables». Mais «l’escalade des actions et des discours» l’a conduite depuis plusieurs mois déjà à négocier un nouvel équilibre : « Limiter au maximum l’exposition des personnels aux risques, tout en poursuivant les programmes les plus importants.»

Philippe Bernard - Le Monde - Edition papier du 19 janvier 2010

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