03/05/2011

Récit d'Ibrahim Manzo Diallo : Cent vingt jours dans les geôles d’#Agadez (#Niger)

Merci Ibrahim pour ce témoignage !

Bravo pour ton courage ! Nul n'oublie, qu'à peine libéré, en pleine rébellion, tu publiais dans chaque n° d'Aïr Info la liste de tous les détenus arbitraires des prisons d'Agadez, Kollo, Koutouale, Say etc...

Pour rappel, Ibrahim est le créateur et rédacteur en chef du journal Aïr Info (qui a vu le jour en 2002). Il a été arrêté arbitrairement le 9 octobre 2007 et mis en liberté provisoire le 6 février 2008.

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Par Ibrahim Manzo Diallo (Extraits)
sur le site d'Aïr Info

Une arrestation arbitraire

« Monsieur, vous êtes en état d’arrestation ! »

« Et pourquoi,s’il vous plaît? »

« Ce sont des instructions, c’est tout ce que je peux vous dire ! »

« Pourrais-je au moins voir le mandat qui vous autorise à m’arrêter, Madame ? »

« Désolée, mais nous avons reçu l’ordre strict de vous arrêter ! Videz toutes vos poches sur la table!»

Je m’exécutai devant l’air très embarrassé de la dame. C’est dans un bureau attenant à la salle d’embarquement de l’aérogare que j’en saurai plus. La dame est officier de police en service à l’aéroport Diori Hamani de Niamey et son service a eu pour instruction d’arrêter Ibrahim Manzo Diallo, correspondant de RFI à Agadez. Je fis rapidement remarquer à l’officier que je suis bien Ibrahim mais que je n’ai jamais été correspondant de RFI et que c’était peut-être une méprise.

Quarante minutes plus tard, un groupe de policiers vint me chercher et m’a prié de m’installer dans un…taxi occupé par des policiers en tenue. On mit le cap sur le centre-ville jusqu’au bâtiment qui abrite la Police judiciaire de Niamey. Je fus questionné toute la nuit sur qui je suis ; ce que je fais dans la vie ; pourquoi je quittais le Niger, etc. Comme j’ignorais toujours ce qu’on me reprochait, je posai la question à l’officier de police de permanence qui m’intima d’attendre au lendemain. Des membres de ma famille mis au courant me retrouveront à la PJ mais on leur interdit de me voir. J’ai passé toute la nuit à jeun, bouleversé par cette incroyable arrestation. « Qu’est-ce que j’ai fait de mal ? Quel crime ai-je commis pour me retrouver dans ces endroits insalubres avec pour seuls compagnons des malfrats de tout acabit ? » Quand je me rappelle qu’au même moment, des amis qui pensaient que j’étais en route m’attendaient en France pour mon stage, fruit d’une coopération entre notre journal Aïr Info et l’Association Ouest-Fraternité ! » Effectivement vers dix heures le lendemain, j’embarquai avec ma valise dans un véhicule de police à destination de la Brigade de recherche de la Gendarmerie. Coup de théâtre! La gendarmerie attendait un journaliste, c’est vrai mais… français. « C’est bien vous que la police a arrêté hier soir à l’aéroport ?» «Oui !», ai-je marmonné!

«Et qu’est-ce que vous avez fait ?» C’est le comble pour moi : ici aussi, on veut que je dise moi-même ce qui a conduit à mon arrestation! Tout cela commençait à m’exaspérer. Je réponds à l’officier qui me posait les questions que je veux savoir ce qu’on me reprochait à la fin. On me dit alors d’attendre dans un coin jusqu’à ce qu’on se renseigne sur mon cas.

La réponse arriva trois heures après : « Prenez votre valise et suivez-moi » me dit poliment un officier de gendarmerie. Je fus prié d’embarquer dans un autre véhicule bondé d’hommes armés.

Visiblement, je partais pour une destination inconnue, en tous cas loin de Niamey. Aucun membre de ma famille n’avait été informé de mon transfert. J’ignorais moi-même où on m’amenait. En cours de route, les gendarmes qui m’escortaient ne disaient rien. Tous avaient leur arme! Même le chauffeur gardait précieusement la sienne, un AK 47, sous son siège… Arrivés à Dosso, on fit une escale dans l’enceinte de la Brigade de gendarmerie. J’eus droit à de l’eau fraîche et même à me rendre aux toilettes !

Deux heures après, c’est à nouveau le départ ! Vers où on va encore, s’il vous plaît? L’un des gendarmes, assis à côté de moi, me tranquillisa : “Tu le sauras bientôt !”. Pour me faire languir peut-être, ils engagèrent juste après une conversation sur notre destination probable! “Tu risques de te retrouver à Diffa...” Après plusieurs heures de voyage, on arrive vers minuit à Tahoua, ville située à plus de 600 km au nord de Niamey. Dans la même nuit, des gendarmes m’escortèrent jusqu’à un bureau sis derrière celui du gouverneur de la ville. On me fit déshabiller et on me jeta torse nu dans une cellule infecte. Je n’avais rien comme couchette. C’est seulement le lendemain vers 17 heures que je ferai mon premier repas, c’est à dire presque trois jours après mon arrestation !

Je ne vivais que d’eau et d’angoisses. La deuxième nuit, je fus pris d’un malaise qui obligea mes geôliers à me transporter d’urgence à l’hôpital. Le temps d’une injection, je retrouvai mes cafards et mes fourmis devenus mes seuls compagnons. Je passerai cinq nuits dans cette cellule de moins de deux mètres carrés. Ma famille ignorait totalement ma position. Je les entendais dire tout leur désarroi sur les ondes de RFI, que j’entendais grâce au transistor du poste de garde. Mon cœur se serrait de douleur de ne rien pouvoir faire pour les rassurer ! J’avais eu très mal lorsqu’une de mes sœurs éclata en sanglots à l’antenne, implorant qu’on lui dise là où se trouve son frère…

Le cinquième jour, tard dans la nuit, plusieurs véhicules stoppèrent devant ma cellule. Nouveau départ ! Nouvelle destination ! Je saurai à la lueur du jour qu’on se dirigeait vers Agadez. Ma ville que je retrouvais au crépuscule, Agadez que j’avais quitté en homme libre il y a quelques jours pour venir prendre mon vol à Niamey mais qui me semble aujourd’hui totalement métamorphosée. A la barrière, quelques civils qui m’ont reconnu détournent leur regard pour ne pas s’attirer d’ennuis.

Une véritable campagne de dénigrement avait été savamment distillée sur mon compte sur les ondes des médias publics depuis mon arrestation. Le ministre porte-parole du gouvernement disait même que des documents très compromettants avaient été découverts sur moi, dans mon bureau et à domicile…Et pourtant aucune fouille n’a été menée chez moi ou à mon service. Quand on veut noyer son chien, on l’accuse de la rage … Aujourd’hui, je revenais escorté comme un dangereux assassin à Agadez, une région que toutes les fibres de mon cœur chantent ; une région qui m’a vu grandir et à laquelle je donnerai ce que j’ai de plus cher. Une région qui a donné un sens à ma vie! Aujourd’hui, on se détourne de moi comme d’un malpropre. Je voulais crier de toutes mes forces que je n’ai rien fait, que je suis victime d’une implacable injustice !

Déjà à l’entrée de la ville, des militaires nigériens voulaient continuer avec moi jusqu’à la compagnie sur instructions de leur hiérarchie mais la gendarmerie s’y opposa. A la Brigade de gendarmerie, j’ai été enfermé dans la même cellule qu’a occupé un confrère du nom de François Bergeron, un ami que j’ai connu quelques années auparavant arrêté dans le cadre du conflit en cours au Niger. Après vingt jours de garde à vue, j’ai su enfin ce qu’on me reprochait : association de malfaiteurs ! Intelligence avec l’ennemi ! Et le comble, que je partais en Europe travailler pour le Mouvement des Nigériens pour la justice (MNJ), un mouvement rebelle né en février 2007 au nord Niger. Tout cela sans qu’aucune preuve vienne étayer ces dires. Un bref passage à la Justice et je fus mis sous mandat dépôt au camp pénal d’Agadez ! Pour la première fois de ma vie, je faisais la connaissance du monde carcéral. Ce séjour m’a permis de voir ce qui se passe derrière ces longues murailles d’argile ocre, loin de tout et de tous. Je partagerai volontiers ce que j’ai vécu. Devant la prison, collée à un pieu du hangar du parloir, une enseigne avertit tout arrivant : «On ne vient pas en prison pour être puni mais parce que on est déjà puni ». Je méditerai cette phrase pendant tout mon séjour.

Avant de franchir la lourde porte donnant accès à la cour du camp pénal, la tradition veut que vous versiez de l’argent aux innombrables chefs qui règnent en maîtres absolus au sein de la prison. C’est mon frère Abdoulkarim qui le fera à ma place. Il fut obligé après de dures négociations de verser quarante cinq mille francs au “Sarki”, un détenu condamné à une vingtaine d’années de prison pour viol et tentative d’homicide sur sa nièce mineure qu’il jeta dans un puits après cet acte odieux. Avant de franchir la lourde porte, un agent de sécurité, crayon en main, changea le chiffre du registre. J’étais alors inscrit sous le numéro 162.

Le camp pénal d’Agadez est une bâtisse aux allures coloniales. Rien n’a été laissé au hasard. La grande chambre par exemple est un énorme bâtiment de près de 300 places qui n’a pas été fait dans de la dentelle. Les épais murs parsemés de minuscules trous d’aération dissuadent toute tentative d’évasion. Des larges banquettes en argile servent de lits aux détenus. La grande chambre est subdivisée en plusieurs quartiers qui ont chacun un délégué, qui rend compte au Sarki dès qu’un problème survient.

J’eus la chance de passer ma première nuit dans cet endroit grâce au bon vouloir des responsables du pénitencier. La première nuit, je fis la connaissance de Sagamnia, l’adjoint au Sarki, un homme d’un gabarit impressionnant et qui est plus craint que le Sarki titulaire. Il eut l’amabilité de mettre à ma disposition son espace et imposa le calme autour de moi pour me permettre de dormir. Comment l’aurai-je pu ? Dormir au milieu de tant d’inconnus ! Je demandai alors à mon hôte de venir causer avec moi. Autour d’un verre de thé, il me raconta toute sa vie. Je pense qu’il n’a jamais autant parlé depuis son incarcération. Je buvais littéralement son histoire, celle d’un jeune homme qui est né et qui a grandi à Arlit, histoire qui s’est arrêtée, dit-il, “ le jour où dans un bistrot, j’ai poignardé à mort un homme pour une histoire de femme” « Elle m’a laissé quand j’ai été arrêté ». Et ce qui lui fait mal, soupire t-il : « même ma propre femme m’a abandonné ! Je me sens si seul ». Depuis bientôt quatre ans, Sagamnia attend d’être jugé.

Des détenus oubliés par la justice? Il en existe en grand nombre.

Saley, un jeune homme de 28 ans, en est un bel exemple. Présumé coupable de vol en réunion, il attend depuis six ans un procès mais en vain. D’année en année, le temps et l’injustice ont réussi à faire de ce jeune un être brisé, sans rêve ni espoir. Dès la première nuit, je compris que l’abus et le commerce de la drogue sont une réalité indéniable. Le chanvre indien ravit la place à la cigarette.

On fume son joint tranquillement assis devant le petit poste téléviseur commun ou en se pavanant. De toutes les façons, “ on est déjà puni ”! Jusqu’au petit matin, je me torturais à comprendre comment et par qui cette drogue pourtant prohibée arrive à rentrer à l’intérieur. Quelle est alors l’utilité de toutes ces fouilles de détenus revenant des corvées ou des paquets qui leur sont destinés? Il faut être en prison pour voir et comprendre la démesure de l’injustice de la justice des Hommes ! Il faut vivre la prison pour voir des hommes, animalisés par le manque, s’entredéchirer jusqu’au sang pour un bout de pain ou les restes du repas d’un détenu plus nanti. Oui, il faut être entre ces quatre murs pour voir qu’un détenu n’est en fait qu’une bête de somme qui sue à décrasser les habits des gardes ou à casser du bois des journées durant sans rien attendre en retour.

Ici, l’on ne mange qu’une fois par jour. A midi, et c’est tout! Le menu est simple : cinq fois par semaine, du sorgho. La malnutrition frappe à l’oeil nu. Et la bouillasse servie se retrouve séchée et revendue à vil prix aux gardes qui élèvent des moutons.

La santé des détenus ne constitue pas une préoccupation ! Le régisseur du camp pénal, M. Sina, fait de son mieux mais ne peut venir à bout de tant de sollicitations. À son corps défendant, il voit ses pensionnaires malades mourir à petit feu après quelques soins primaires.

Je veux dire ici l’absurdité de la mort de l’imam de la mosquée de la prison, un détenu aussi ! Rongé par la maladie, il me fit appeler et m’implora de dire au régisseur de l’envoyer à l’hôpital ! Je n’oublierai jamais sa dernière phrase quand j’étais à son chevet : « Ibrahim, peut-être qu’ils vous écouteront, dites-leur de m’amener me faire soigner ! Je vais mourir ! Pour l’amour de Dieu, Amenez-moi à l’hôpital ! ». Avec trois autres détenus, dont deux agents de FNIS( Forces nationales d’intervention et de sécurité), Ichek et Mamane Sani et un chauffeur du nom de Guemé, nous demandons une audience pour plaider sa cause auprès du régisseur ! « On va voir son cas » répond le responsable du pénitencier ! Effectivement, il eut droit à quelques sérums au sein même de la prison mais, à bout de forces, il a finalement été transporté à l’hôpital où il décéda le lendemain, mains menottées à un lit ! Le défunt était présumé coupable d’abus de confiance portant sur quelques centaines de mille FCFA.

Devant tant d’injustices et de monstruosités, il arrivait des fois que je perde espoir sur la capacité de nos pays à vivre la démocratie ! Serions-nous un jour capables de tuer les monstres qui sommeillent en nous et d’enfin respecter autrui ? Serions-nous un jour capables de voir l’autre, différent de nous, et lui parler le langage de l’égalité sans le blâmer ou vouloir l’assujettir ? Devant le spectacle désolant de l’humain dégradé, de l’humain anéanti dans sa splendeur et sa dignité, j’en doute fort… Parfois quand s’annonce une mission du CICR ou de parlementaires, la prison change de visage. On cache sa face hideuse qui nous est familière et, à coups de balai et d’éponge, les détenus lui donnent très rapidement un aspect jovial, plus humain ! Cette hypocrisie m’a beaucoup blessé pendant mon séjour.

En prison, pour oublier nos problèmes et supporter tous ces jours qui se succèdent et qui se ressemblent, nous nous nourrissions d’espoir et de blagues taquines ! Petit à petit, une complicité était née entre les détenus et moi ! On se confiait ! Des fois, il nous arrivait de nous réunir autour d’un médium, un détenu aussi, qui joue aux cartes dans l’espoir de lire dans les signes si notre libération approchait ou non. Curieusement la veille de ma libération, c’était lui le premier à m’annoncer que mon séjour au camp pénal prenait fin ! Sacré Alhadi ! Il purge, lui, une peine de sept ans !

La vie au quartier des mineurs

Notre médium Alhadi est très sollicité pour ses dons de voyance. Ce qui est étonnant, même nos gardes font appel à ses services. Par je ne sais comment, il est devenu mon ami, mon compagnon et mon confident...Cet homme lisait sur les pages de ma vie. Il sait tout sur moi. Ce qu’à été ma vie et ce que je suis en train de vivre. Il lisait en moi dans sur un livre.

Chaque matin, à l’heure du thé, il arrivait dans ma chambre avec ses cartes dans la poche ! Fiinalement, c’était lui qui s’occupait de tout pour moi.

En prison, il faut savoir se débrouiller pour ne pas mourir de faim. Alhadi officie clandestinement mais son boulot n’est qu’un secret de polichinelle. Pour être à l’aise, il invitait ses plus “gros” clients un peu à l’écart, notamment au quartier de mineurs.

C’est lui qui me fit découvrir le quartier de mineurs. Une maison construite dans le style de maisons sans bois qui sert de cellule à quatre jeunes enfants de moins de 18 ans. Petit à petit, “l’officine” de Alhadi devint notre lieu de rencontre. Il m’a invité à plusieurs reprises là bas pour me lire les cartes. Je reconnais aujourd’hui encore que je l’ai cru jusqu’au bout.

En fréquentant le jour ce quartier dit des mineurs, j’ai pu sympathiser avec l’un de jeunes détenus du nom de Ahmedou. Un jeune peulh d’à peine quinze ans qu’une dispute anodine ayant mal tourné a conduit au bagne. On parlait la même langue et finalement, je fus comme un père pour lui. Il m’appelait “ père”.

Ahmedou est en prison suite à une bagarre qui a mal fini. Ahmedou a tué son ami d’enfance d’un coup de bâton sur la nuque. Je me rappelle encore du jour où il se décida à s’ouvrir à moi. Il avait versé beaucoup de larmes car Il aimait si bien son ami. Moi aussi, car je sentais tout le drame que vivait cet enfant. “Il me manque beaucoup”, me confiait-il de temps en temps. “ ça lui échappait des fois quand on est à deux mais jamais devant une autre personne”.

Après plusieurs mois de prison, Ahmedou continuait encore de se culpabiliser. Il m’a demandé un jour ceci :“ Père, tu penses que Dieu me pardonnera un jour d’avoir ôté sa vie à mon ami ? ”

Sa question m’ayant pris au dépourvu, je lui ai répondu : “ tu n’as été que le bras exécutant d’un fait qui devait se réaliser ce jour-là et nul autre et qui devait emporter ce garçon et pas un autre ! C’est écrit depuis longtemps avant même que tu ne viennes au monde Ahmedou. Dieu t’a déjà pardonné”.

Malgré cette conversation pour l’amener à se libérer, je continuai à observer sur son visage la lueur d’une douleur innommable. Je me creusai la cervelle à le deviner mais l’enfant s’emmurait dès qu’une tierce personne s’approchait de nous. Je sentais cependant qu’une blessure rongeait cet enfant outre celle du remords du meurtre qu’il a commis.

Un matin, après avoir partagé mon petit- déjeuner, son visage d’un coup s’est éclairci et me demanda le sort réservé à tout homme qui a fait des mauvaises choses avec un autre garçon. Abassourdi, je lui demandai de m’expliquer ce qu’il entendait par là !

Ahmedou hésita un moment avant de nommer un détenu, mineur beaucoup plus âgé que lui et qui a été libéré récemment : “ Untel m’obligeait à faire de choses très sales avec lui presque toutes les nuits ! Et à chaque fois, j’ai très mal ! Il dit qu’il allait me tuer si je le dénonçais ”.

“Dis-moi clairement Ahmedou! Qu’est-ce qu’il t’a fait ? ”. “ Il m’enlevait le pantalon et me touchait par derrière pendant que les autres détenus dormaient.”, avoue Ahmedou.

“ Et pourquoi tu ne l’as pas dénoncé aux gardes? “, lui dis-je. “ Il est plus fort que moi et ensuite il me donne les restes de sa nourriture. J’ai eu peur de lui car s’il apprennait que je l’ai dénoncé, il me tuerait dans la nuit ou Il n’allait plus m’aider et je vais mourir de faim ! Mes parents viennent rarement me voir car ils vivent loin d’Agadez.”

“ J’ai eu très mal ce jour-là car qui pouvait soupçonner l’enfer qu’a vécu ce petit garçon?

Le viol étant en principe puni de quinze ans de réclusion criminelle et que la peine peut être aggravée dans un grand nombre de circonstances qui tiennent soit au résultat des violences, soit à la qualité de la victime ou de l’auteur, soit aux modalités du crime. Ainsi, le viol est puni de vingt ans de réclusion criminelle (C. pén. art.222-24) lorsqu’il a entraîné une mutilation ou une infirmité permanente; lorsqu’il est commis sur un mineur de quinze ans; lorsqu’il est commis sur une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de l’auteur.

Ahmedou, ce pauvre jeune peulh a subi dans sa chair l’irascible loi du plus fort dans un univers dûment réeducatif.

J’enrage aujourd’hui encore en pensant que contrairement aux autres bagnes du pays, il y a dans celui d’Agadez un détenu adulte désigné par l’administration pénitentière pour surveiller les mineurs. Il dort avec eux dans la même cellule. Parfois, les enfants ne pouvant s’opposer à une telle décision boudent à longueur de journées leur “ange gardien” qui n’est en réalité qu’un terrible bourreau qui se fait royalement servir par les enfants. C’est eux qui lui font la lessive, chauffer l’eau... Où était cet adulte désigné par le pénitencier quand le jeune Ahmedou se faisait violer presque chaque soir par un pervers garçon? Quelle est l’utilité d’un tel gardien?

Le triste sort de Ahmedou en prison m’amene à me poser des questions sur la répression de mineurs. L’Etat du Niger ne doit-il pas encourager l’initiative de faire purger les peines de mineurs autrement?. Par les travaux d’intérêt commun par exemple sans aller à l’enfermement.

Au quartier de mineurs, j’ai connu aussi Boubacar, un enfant de moins de seize ans.

A première vue, il était le seul de détenus mineurs à se plaire au sein de la prison. Normal, il connaît sont sort : six mois pour le vol d’un Bazin à la veille d’une fête religieuse. C’est son deuxième séjour dans ces lieux. Curieusement, il est heureux d’être là. “Même si je sors d’ici, Je n’ai personne au dehors. Je serai obligé de dormir dans la rue ou sous des hangars de fortune. Je n’ai plus de famille, d’ailleurs je n’ai jamais connu mon père !”. Et quand je demandais à Boubacar ce qu’il fera une fois libéré.

Il me dit : “ Revenir ici et être affecté à la grande chambre. C’est plus animé là bas!”.

En réalité Boubacar se ronge les ongles au quartier de mineurs où l’abus de la colle et de la drogue est étroitement surveillé.

J’ai su plus tard qu’il arrivait malgré tout à se procurer un petit joint par les interstices de la porte ferrée qui les sépare du monde des adultes, “ Les On s’en fout” comme on appelle ceux qui fument l’herbe ou aspirent de la colle devant tout le monde ont l’habitude de lui glisser la “marchandise”.

“Ils n’ont peur de personne, pas même les gardes qui rentrent des fois à l’improviste ! Ils fument du ganja devant les gens”, raconte avec envie le jeune Boubacar .

Les quatre jeunes pensionnaires du quartier de mineurs vivent dans un espace réduit qui ne leur offre aucun agrément. Il n’ont aucun passe-temps pour eux. La plupart d’entre eux s’ennuyaient dedans et envient le grand espace réservé aux adultes. En regardant de près la vie qu’ils mènent dans ce centre de détention, j’ai conclu qu’ils n’en sortiraient jamais redressés mais plutôt endurcis dans la débauche. Comment faire en sorte que ces enfants qui grandissent aux côtés de gangsters attitrés retrouvent un jour le droit chemin?

A mon humble avis, l’Etat doit revoir au plus vite l’aspect de la répression de jeunes mineurs. Le fait de les cloîtrer dans une piaule taciturne ne remédiera jamais à leur sort mais bien au contraire. Il est urgent de les utiliser pourquoi pas dans des travaux d’intérêts collectifs tout en les gardant à l’œil.

Au camp pénal d’Agadez, sur initiative propre du régisseur M. Sina et d’une association anglaise dénommée Pensées Sans Frontières, des cours d’alphabétisation sont dispensés aux détenus désireux. Ces cours d’alphabétisation regroupent des adultes de tout acabit, et c’est là que j’ai fait la connaissance de Samuel, un détenu de nationalité nigériane qui rêve d’apprendre le français.

“ Je aime le français parce que quand je sortir d’ici, moi partra en France”, me dit-il avec son formidable accent.

C’est Samuel qui me fit intégrer le cercle des détenus non Nigériens qui était au nombre de huit. Tous les huit sont comdamnés à plus de dix ans pour trafic de drogue, fausse monnaie et même complicité de meurtre pour l’un d’eux.

J’ai appris beaucoup de choses avec eux ! J’ai partagé leur angoisses et leur douleur. Celle d’être emprisonnés loin de chez eux, sans nouvelles et cela pour des longues années.

J’ai vécu surtout leur quotidien de misère tenaillé par l’absence de tout soutien, de tout amour...sauf celui de prêtre Pascal qui vient leur rendre des fois visite.

Néanmoins, il existe parmi ces étrangers des personnes qui règnent en maîtres absolus sur le quartier le plus dur de la “ Grande Chambre”. Il a un nom qui rappelle l’impunité des temps sombres de l’Apartheid : Soweto !

Soweto, un quartier où tout se fait et tout se tait

Au camp pénal d’Agadez, et plus précisement dans ce dit “ Soweto” , il faut être un homme, un vrai, pour fermer les paupières sans se faire dépouiller ou même violer.

Il ya de la place vide mais il faut s’affirmer pour asseoir ses fesses sur ces bancs d’argile ocre où la pégre a droit de cité.

Plusieurs détenus, non Nigériens en majorité y habitent ! Ils y ont créé une sorte de de “Gouvernement” qui vit pour eux et par eux ! La drogue s’y vend et la liqueur y coule à flots.

Personne n’ose toucher à ces “ bourgeois” sans s’attirer la foudre des loubards prêts à tout pour un joint ou une dose de Tramol, un comprimé hallucinogène une fois pris en excès.

( A suivre)

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