Le Monde.fr -
Après la Libye au Nord, la Cote d'Ivoire au Sud selon les foucades
sarkosystes, le nouveau pouvoir socialiste va-t-il se lancer dans une
aventure militaire en envoyant les parachutistes français à Bamako et
Tombouctou ? Ou se servir des "supplétifs" de la CEDEAO, sur la
requête d'Alassanne Ouattara, le président ivoirien, tout en envoyant
les forces spéciales françaises traquer les islamistes et les
indépendantistes de l'Azawad, au Nord-Mali ?
Tout cela précédé d'une mise en condition médiatique basée sur
l'indignation et peu soucieuse des conséquences géopolitiques,
diabolisant certains acteurs locaux et présentant l'intervention
militaire comme l'unique solution. Reste à mettre en place un habillage
juridique, via l'Union africaine et le Conseil de sécurité des Nations
Unies -quitte à violer ou détourner la résolution à venir , certainement
prise sous le motif de la "responsabilité de protéger" !
Schéma connu, où la Syrie dispute au Mali le rôle peu enviable de
prochain terrain d'intervention. Tout cela pour quoi ? Pour que la
presse françafricaine tresse les louanges d' "Hollande l'Africain",
revendiquant par un coup de force facile un pouvoir élyséen fort,
compensant symboliquement le retrait d'Afghanistan ? Pour conforter le
syndicat des chefs d'États africains, inquiétés de voir le général
président Amani Toumani Touré renversé et son successeur physiquement
agressé ? Pour répondre aux vives inquiétudes des USA dont les pires
cauchemars se concrétisent sous la forme d'un nouveau territoire pour un
islamisme conquérant s'infiltrant dans tout le Sahara et descendant
vers les riches gisements pétroliers du Golfe de Guinée ?
Ce schéma simpliste d'une nouvelle intervention française sur le
continent africain mérite d'être éclairé par ses précédents, et évalué
par ses conséquences.
S'il y avait une "guerre juste" dans les 50 interventions des corps expéditionnaires français pendant les 50 ans d' "indépendances" cela se saurait ! Que les précédentes soient menées au nom des "intérêts français" ou de la "protection des ressortissants",
ou que les bombes à venir aient un habillage juridique et revendiquent
la protection d'une démocratie de plus en plus formelle, reconnaissons
que pour les pays envahis et les civils sacrifiés, les précautions
sémantiques ne font guère de différence...
Au contraire, des historiens analysent ces interventions, dans le droit fil de la politique pré-independances , comme une "guerre à l' Afrique" discontinue,
qui depuis 150 ans réprime et normalise, soumet puis contient les
populations du continent sur des territoires donnés et selon des modèles
politiques contraignants.
Tenir un discours de gauche et mener une politique extérieure qu'on
ne peut qualifier que de néocoloniale a un nom, dans l'histoire de la
gauche française:le mollétisme. Du nom de triste mémoire de Guy Mollet,
hiérarque socialiste qui a réussi le tour de force, en Algérie, d'allier
discours marxisant et action coloniale- déjà !
Le gouvernement précédent a de fait encouragé les revendications du
MNLA touareg,en lui offrant tribune médiatique et appui diplomatique -ce
qui a été vécu à Bamako comme un lâchage, si ce n'est comme une
trahison,et qui semble la cause indirecte du putsch de mars dernier par
le capitaine Sanogo.
L'extension de cette nouvelle "guerre nomade" africaine se
ferait selon deux axes : Nord -Sud d'abord, non seulement vers Bamako,
mais aussi via la CEDEAo, vers des pays comme le Burkina ou la Cote
d'Ivoire dont les régimes autoritaires se voient déjà déstabilisés.
L'autre vecteur, plus immédiat et évident, serait la dissémination des "guerriers nomades",
d'un coté indépendantistes touaregs, de l'autre djihadistes surarmés,
vers les autres pays sahariens ; dans ce cas le Niger aux riches
gisements d'uranium serait sans doute le premier visé,mais de la
Mauritanie à l'Algérie, du nord Tchad au Sud de la Libye, ou encore le
Burkina et le Nigeria, bien peu risquent d'être épargnés!
Le vertige de gouvernance, interventionniste et armé,de la CDEAO ,
s'il est plutôt risible concernant certains de ses acteurs arrivés au
pouvoir par un assassinat politique ou de sanglantes
rebellions(dictateurs relevant plus de la CPI que des forums onusiens)a
été historiquement catastrophique sur le terrain et tragique dans ses
modalités. L'Ecomog,bras armé de l'organisation ouest africaine ,a pillé
et tué des civils plus qu'à son tour, au Liberia et en Sierra Leone, au
point d'être dans le cas de ce dernier pays considérée comme une des "factions combattantes" par l'ONU !
A la fin du régime français précédent,des stratèges du café de Flore
ont été relayés par des machiavels manqués, au Quai d'Orsay ou à la
Défense qui ont voulu "jouer les Touaregs" pour "liquider Aqmi"
: on voit ce qu' il en a été ! Et aujourd'hui des membres des services
et des milieux d affaires verraient bien un autre Azawad au nord Niger
pour contrôler l'uranium d' Areva à un meilleur prix : qu' importe pour
eux que deux Etats sahéliens , déjà minés par un ajustement qui les a
laissé exsangues(mais non leurs "élites" corrompues.... ) s'effondrent
et déstabilisent les pays limitrophes-au risque, on semble l'oublier
,d'un triste sort possible pour les otages d'AQMI.
Dans cette réflexion conséquentialiste - qui aurait due être mise en
oeuvre pour la Libye et la Cote d' Ivoire, le pire serait sans doute une
crise humanitaire d'une ampleur inédite : des Etats ne pourraient faire
face aux famines, qui déjà structurelles dans la zone toucheraient
jusqu'aux capitales.
Faudra t-il appeler à la rescousse les organisations humanitaires au
Mali, Burkina, Niger, Algérie Mauritanie, et bien plus loin encore pour
gérer les centaines de milliers de réfugiés et déplacés que génère déjà
la crise malienne et qui se compterons en millions si ce nouveau conflit
gagne une demi douzaine de pays ? Action contre la Faim, par exemple, a
mis en garde (cf sur son site son dossier Sahel)
contre de terribles risques de famine généralisée que risque de
connaître une zone sahélo-sahélienne structurellement fragile. Une main
qui tue, l 'autre qui soigne : les humanitaires s 'épuisent à jouer
cette "main gauche de l'Empire", à traiter courageusement les effets pervers d'interventions sur le long terme irresponsables.
Car la guerre a ses logiques propres, qui recomposent rapidement les
identités et les territoires. Qui aurait dit il y a seulement un an que
le mouvement Ansar el Dine, à l'origine religieux, prendrait le pas sur le MNLA, ou que le mouvement Boko Haram du Nigeria ou des djihadistes pakistanais ou afghans se reterritorialisaient au Sud Mali !
Des penseurs africains, notamment maliens comme Aminata Traoré,
proposent des alternatives : un retrait total des corps expéditionnaires
français, des bases et des forces militaires du continent est
revendiqué par un mouvement pan-africaniste montant comme par une gauche
occidentale encore tiers mondiste.
Quitte à aider à contre attaquer une armée malienne en pleine
recomposition, plutôt que des régimes corrompus et des chefs d'État qui
ont mis le feu à une partie de l'Afrique. Laissons certaines régulations
se faire - ou la guerre au Mali s'étendra au Sahara, et les
conséquences de ce nouveau bourbier risqueront d'atteindre l'Europe,
demandant une impossible prise de risque des forces françaises, menacées
sur d'incontrôlables théâtres d' opérations.
Qui écoutera un jour les polémologues ? Jouer les Cassandre n'est
évidemment pas un exercice très réjouissant, surtout si le rôle doit
être réitéré en vain depuis une vingtaine d'années... Avertir des
fausses logiques et insister sur les effets pervers ou les
catastrophiques conséquences de ses actes un pouvoir politique affolé
par les groupes d'intérêts, des médias alarmistes, ou des amateurs de
coups tordus est souvent inutile. L'espoir subsiste cependant d'une
prise en compte des observations indépendantes, des faiseurs de
scénarios pour l'intérêt général ! Utopie de ne plus être - et c'est ici
le cas de le dire, ce que des textes bien plus anciens nomment déjà "vox clamantis in deserto", la voix de celui qui prêche dans le désert.
Michel Galy - Politologue, professeur de géopolitique à l'Ileri, chercheur au Centre d'études sur les conflits.Auteur de "Guerres nomades et sociétés ouest africaines", (L'Harmattan).
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire